" Ecole normale supérieure " !... Texte de El mustapha Morada .

La raison derrière le choix du nom français d'origine(1) de cette illustre institution française au lieu du nom Arabe, est la volonté de souligner le paradoxe que vit ce genre d'écoles au Maroc, en comparaison avec l'institution mère dont les racines remontent aux lumières étincelantes, du moment qu'elle est considérée comme le fleuron de l'enseignement supérieur français de la période de l'après-révolution.

Sa première version fut établie en 1794, avant d'être reconstituée sous une nouvelle formule sous Napoléon. Elle est aujourd'hui considérée comme une université de recherche et son importance en tant que pionnière dans l'instauration des valeurs intellectuelles et scientifiques de la modernité dépasse son statut d'école de formation d'enseignants, (tel que c'est le cas chez nous). De plus selon les documents officiels français cette école est perçue comme "un acteur primordial dans la formation de l'élite française", et cette institution, située dans l'avenue "MLU" est considérée comme un monument national.

En parlant d'élite nous observons au Maroc aujourd'hui que l'élite de l'Etat n'est pas diplômée de l'ENS, mais de l'école française des ponts et chaussées, qui forme des ingénieurs et non pas des chercheurs .Autrement dit le Maroc est entre les mains de technocrates, ou d'applicateurs précisément, et le résultat est visible sur le terrain, mais c'est là une autre paire de manches ...

Nous disons que cette illustre institution française est aussi la pépinière où ont éclos les différentes thèses courantes dans le paysage culturel français du vingtième siècle ; et ses contributions au renouvellement de la pensée Humaine en général, dans ses deux aspects scientifique et littéraire, demeurent une des particularités d'une école considérée comme la plus respectable d'Europe. Il en suffirait comme preuve de dire que douze de ses lauréats ont obtenu un prix Nobel, sans parler d'autres prix reconnus en France et dans le monde. Nous citerons à titre d'exemples les noms de Pasteur, le célèbre biologiste ; Bergson et Louis Althusser, Dizanti , Alain, Derrida, Bourdieu, Lévi-Strauss, Sartre et Simon Veil ...qui sont des philosophes de poids dans les domaines intellectuel et philosophique universels. Sans ajouter que certains de ses lauréats ont occupé de hautes fonctions dans les différentes républiques françaises.

Les lauréats de cette école sont désignés par le terme "Normalien", et c'est cette dénomination, justement ,qui nous a poussé à ne pas mettre le titre en Arabe (1), parce que le terme " en Arabe " Al assatida", n'est pas une traduction pertinente du mot "Normalien" et ce pour plusieurs considérations :

La première c'est que l'école française (ENS) est une institution universitaire d'études pré-doctorales et doctorales ,chose que n'assume pas son homonyme marocaine jusqu'à nos jours ,le doctorat demeurant toujours exclusivement universitaire ,et la copie marocaine "ENS" délivre des certificats professionnels et non pas universitaires , et ce sont les lobbys des universités qui profitent de ce monopole . C'est une grande injustice envers l'élite d'enseignants dans les groupes de formation de cette école, et cela reste toujours un sujet d'actualité .

Deuxièmement l'équivalent arabe déjà cité de cette école marocanisée ne donne à ses lauréats aucune distinction qu'elle soit d'ordre professionnel, sociale ou scientifique. il en sort des enseignants portant un titre social non distinctif qu'est celui de "professeurs du second cycle qualifiant", alors que ce titre est porté par d'autres enseignants( contractuels ou civilistes), ,entrés dans l'enseignements pour "boucher les trous ";et qui sont propulsés dans les salles de classe sans aucune formation , et ne sont donc pas des "Normaliens " . Ceci alors que les enseignants universitaires monopolisent le titre d' "enseignants chercheurs " ; mais cela est un autre problème, car ce sont les meilleurs étudiants universitaires qui sont seuls capables de réussir les différentes étapes sélectives complexes des hautes écoles, comme l'ENS, et celui qui échoue à ces examens décide, souvent malgré lui, de continuer ses études supérieures...

Cependant le summum de la contradiction dans les recherches doctorales au Maroc ,c'est que ces étudiants contraints à continuer leurs études supérieures ,par défaut, n'échouent jamais ,car tous les chercheurs "réussissent", et nous n'avons jamais entendu dire qu'un chercheur en doctorat a été recalé, alors qu'il y a des sujets et des thèses pour lesquelles leurs auteurs méritent la lapidation sur la place publique . Et le résultat de cette absurdité c'est que nous trouvons des "enseignants chercheurs " qui ne cherchent rien, voire qui n'ont jamais écrit une phrase, ils sont nombreux, et c'est là une vérité constatée dans le compte-rendu établi par le haut conseil de l'enseignement.

Troisièmement, les lauréats des ENS , après obtention d'un certificat professionnel et non pas universitaire ,affrontent des obstacles loin d'être innocents ,qui les empêchent d'achever les projets de recherche ébauchés dans ces écoles et sont obligés de recommencer à zéro ,s'ils ont des prétentions universitaires, et si bien sûr les affectations injustes ne tuent pas en eux toute velléité de recherche . Ce qui pose un sérieux problème au Maroc, du moment que les lauréats des ENS ne forment pas un groupe de pression, contrairement à leurs collègues français, comme nous l'avons dit précédemment.

Et quand ils réussissent à vaincre les obstacles bureaucratiques, leur solide formation universitaire de base, en plus de leur expérience en classe en fait d'excellents chercheurs universitaires, mais ce qui arrive actuellement dans le corps professoral est vraiment étrange ,et consiste en ce que cette élite trouve de grandes difficultés à enseigner dans les universités , alors que l'expérience acquise en formation et dans les lycées en feraient d'excellents professeurs que ce soit en tant qu'enseignants ou en tant que chercheurs .

L'intégration de L'ENS dans le corps universitaire constituerait un bon pas dans la bonne direction, mais cela demande des mesures aussi louables afin que ces écoles jouissent de leur vraie place dans la recherche. Parmi ces mesures l'instauration de garanties assurant leur indépendance et leur distinction des autres écoles, ainsi que la priorité financière et logistique pour que ses groupes de recherche puissent travailler loin de toute contrainte. Il suffirait à ce propos de dire que plusieurs d'entre ces écoles souffrent d'un énorme manque en cadres et en fonctionnaires. De même faudrait-il encourager chaque ENS à asseoir sa spécificité, comme c'est le cas en France.

Enfin,ceci n'est qu'un bref survol d'une grande institution scientifique ,que le Maroc a réussi à "cloner" ,mais il n'a pas réussi jusqu'à maintenant à lui assurer la même place qui est la sienne au sein dans le monde culturel ,scientifique et pédagogique français .Allons nous rectifier le tir ou bien nous suffirons-nous ,comme toujours, de solutions de fortune ?

1) Le texte d'origine, publié en Arabe portait un titre en Français (NDT).
-Texte publié en Arabe dans le quotidien "Al massae" n° 1314 du 14/12/2010.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

L'école coranique

Un nouveau rond-point d'interrogation ...

Compte rendu de la réunion du forum marocain pour la vérité et la justice(section de Goulmima).