Bien de l'encre a coulé vis-à-vis de cette tradition locale dont certains font remonter les origines à la coexistence longtemps pacifique entre les habitants de confession musulmane et juive et à l'interaction culturelle qui en a résulté et fut pérennisée même après le départ de la communauté judaïque .D'autres ,au contraire ,dans un mouvement de répulsion vis-à-vis de cette première hypothèse ,font remonter ses origines à la subsistance de rites chiites qu'on retrouve dans différentes contrées sous d'autres variantes et avec des dénomination diverses, et qui veulent que l'eau dont s'aspergent les jeunes durant les journées quand la saison le permet, soit une variante symbolique d'autres formes plus violentes et qui expriment le deuil du fils de l'Imam Ali (Al Houssain), figure de proue dans la hagiologie chiite. Quoi qu'il en soit ce festival demeure une forme culturelle bien partagée, au moins dans les pays méditerranéens ,et il faut reconnaitre que la manière dont elle est pratiquée dans la région de Goulmima lui a donné un grand éclat, qui n'est pas étranger à l'ébullition de la région et à son Histoire mouvementée .Il y a bien sûr cette absence de censure sur les modes d'expressions et sur les sujets abordés ,qui représentent pour certains l'occasion de faire des connaissances avec ou sans lendemains qui chantent ou qui déchantent . La licence verbale est l'une des raisons de pérennité de cette manifestation qu'il serait facile de rapprocher des formes de théâtre antique dont la fonction est de dévoiler pour démystifier toutes les formes d'autorité qui prévalent dans la société .{jcomments on}


Dans la tradition, effectivement, ce sont les chefs de la tribu, les notables, les hommes autoritaires, les hypocrites et les maris adultères qui sont pris pour cible par la satire populaire qui renverse ainsi les règles hiérarchiques et détient le pouvoir par la raillerie durant la durée du festival. Dans la bonhomie campagnarde où les secrets n'en sont pas à cause de la promiscuité quotidienne et de la longueur de certaines langues, la divulgation de ces secrets étaient une forme de Wikileaks en miniature où se dévoilaient les imperfections de la communauté, dans le dessein de les rajuster et de la nettoyer de certaines manies, goujaterie et infidélité qui risquent de porter atteinte à la bonne continuité de la coexistence entre les différents noyaux constitutifs de la tribu. C'est ainsi que certains "oudayns " masqués se réunissaient autour d'un mari infidèle et dévoilaient son secret en public avec des mots masqués aussi, mais dont la clé était connue de tous. Un autre mettait un masque hideux et portait à la main une canne et caricaturait l'attitude du cheikh de la tribu et dénonçait ses abus de pouvoir. A la fin nulle rancune n'est retenue contre les participants masqués dont l'identité n'était souvent qu'un secret de polichinelle.
Aujourd'hui, on observe l'amélioration de la qualité des masques et des moyens de déguisement qui ont  évolué d'un simple masque fait dans un scion desséché de palme, dans lequel on creusait les trous pour le nez les yeux et la bouche. Avec le temps ces masques rudimentaires sont remplacés par d'autres en plastique donnant libre cours à l'imagination déchaînée de leurs créateurs. En plus de cet aspect formel, les sujets traités ont connu aussi une évolution considérable, modernité oblige. C'est ainsi qu'à côté des tares sociales toujours montées en épingle ironiquement, l'on remarque la présence de formes plus évoluées d'expression, et aussi une ouverture remarquable sur les thèmes plus universels, tels que le racisme, la liberté de l'Homme, la condition féminine, en plus de la stigmatisation symbolique de certains phénomènes culturels imposés avec l'ouverture médiatique comme la pornographie.
D'un autre côté cette nuit masquée est devenue une occasion en or pour les défenseurs des différentes causes ,la politique n'en est jamais absente sous une forme ou une autre, puisque c'est les affaires de tout le monde ,et l'on a observé la présence remarquable de militants amazighs hissant le drapeau tricolore et scandant des slogans en faveur de la reconnaissance de la langue Amazigh dans la constitution du pays .Mais aussi des revendications identitaires en faveur de la reconnaissance des droits économiques , politiques et culturels de ces régions longtemps marginalisées dans les plans de développement national. Ces militants du mouvement culturel se réservent généralement une nuit pour se démarquer des autres troupes non engagées et qui ne montrent qu'un aspect folklorique de la culture amazigh .Cette divergence a donné naissance à une répartition des lieux et des nuits entre les tenants d'une tradition folklorique et essentiellement enjouée et théâtrale du festival et une autre ,engagée politiquement qui en fait un terrain privilégié pour faire entendre ses messages progressistes et ses revendications .
En fin de compte ce festival est l'une des rares distractions, les hommes et les femmes qui n'ont rien à cacher ou qui le cachent bien s'y rendent, parfois même en famille, d'autres, à quelques rues plus loin qualifient ce même festival de réunion cabalistique et satanique et interdisent à leurs enfants de s'en approcher, il faut de tout pour faire un monde comme dit le proverbe. Toutefois il est primordial qu'il y ait une forme d'organisation qui supervise les personnes participant au bal masqué afin d'éviter les débordements et les dérapages qui ne manquent pas d'exister ,surtout de la part de jeunes qui ne manquent pas de lever un peu trop le coude et de déverser leur lexique le plus obscène en public. Les agents de la sécurité publique font un travail important pour éviter les atteintes sérieuses, mais ce festival gagnerait à être mieux organisé, quoi que paradoxalement il soit rétif à toute organisation, et sa raison d'être, c'est d'échapper aux règles justement...

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