Symphonie matinale

Il était cinq heures sur le réveille-matin que mon père avait l’habitude de garder à portée de main près de son lit. Il se réveilla ce matin là, léger comme un papillon, prit ses lunettes qui étaient sur sa table de nuit et les posa juste sur son nez, sans chercher à les fixer à ses oreilles.
Déjà réveillée, ma mère était à ses fourneaux en train de préparer le petit déjeuner. Elle prit la précaution de ranger le balai derrière la porte de la cuisine, sachant que mon père pouvait trébucher dessus et casser son manche en deux morceaux. Elle retira deux baguettes de pain d’un panier qui était soigneusement posé sur la chaise, les découpa en tranches et mit les verres sur la table près de la cafetière qui fumait encore comme la vieille pipe de mon grand-père. Cette pipe faisait déjà partie de l’héritage de mon père et de sa fierté, il y tenait beaucoup car il lui avait réservé un coin sur la cheminée et il était strictement interdit d’y toucher.
De ma chambre, je pouvais entendre le bruit des pas de mon père qui se dirigeait vers la cuisine. Il prenait toujours soin de marcher doucement dans la maison afin de ne pas réveiller «ses petits pigeons » comme il nous appelait. Il avait déjà mis sa tunique de garde-forestier, prit sa hache qui pendait au mur près de la porte et qu’il tenait toujours à fixer le plus haut possible depuis que mon petit frère voulut l’imiter un jour et se mit à abattre un pied de table. Heureusement, ma grande sœur n’était pas loin car elle parvint à sauver au moins le poisson rouge qui battait de la queue sur le plancher au milieu des tessons de verre brisé.
Je pouvais aussi entendre le bruit d’une bouteille qu’on ouvrait avec un tire-bouchon ou celui des cartouches du fusil de chasse de mon père lorsque celles-ci roulaient sur la table. Tous ces bruits du petit matin composaient comme une musique douce et familière à mes oreilles.
Sa hache sur l’épaule, s’essuyant la moustache avec le revers de la main, mon père donna un petit coup de pied dans le ballon de mon petit frère pour le dégager de son chemin, prit enfin sa plume et son carnet de notes qui étaient sur la table près de la porte, vérifia si son canif était bien aiguisé et ouvrit la porte pour se diriger vers les écuries. J’entendis enfin le bruit de la clef qui tournait dans le cadenas de la porte des écuries et un moment après, le hennissement du cheval suivi d’un bruit de galop. C’était le signal que je pouvais me rendormir encore un peu avant l’heure d’aller à l’école.
C’est drôle tous ces bruits que je pouvais si bien distinguer, que mon père m’appela un jour : « oreille de cheval », et jusqu’à ce jour, j’ai toujours du mal à imaginer un petit pigeon avec des oreilles de cheval.
Saïd BOUFOUS
Le 02fevrier 2011

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