Un demi siècle chez les cannibales.

Dans un petit campement de cannibales la vie s'organisait plutôt mal .Leur religion ou ce qui en tenait lieu en rites obscurs et prosternations leur interdisait formellement de se nourrir de la chair d'un membre de la même tribu.Ce garde-fou tracé noir sur blanc dans leurs manuscrits sacrés ,était instauré par des lois suprêmes pour prévenir l'extinction de la race primitive .Cependant ,de temps en temps et même en plein jour l'on entendait parfois des cris étouffés sortant d'une tente ou d'une grotte.c'est que quelque mécréant aurait occis un de ses frères de sang pour le bouffer .Cela se reproduisait si souvent qu'on en venait à douter de l'utilité de tous ces rites .On perdait l'espoir et attendait infiniment que ce lui qui a transgressé le tabou soit puni mais en vain ,alors le scepticisme s'installait dans les grosses têtes des cannibales .Le plus sage d'entre eux ,un vieux renard en barbichette portait le masque de shaman et présidait les innombrables prosternations de la journée et de la nuit .Il se présentait comme le chef spirituel ,tandis que son cousin détenait la puissance matérielle ,lui le maître des chasseurs .

Afki ,c'est le nom de ce sage septuagénaire mais qui ne le sait pas .Il se rappelle seulement qu'enfant il avait vu la montagne cracher du feu et il datait son existence à l'aide de cet évènement qu'il n'a plus vu se répéter .Il prêchait sur le rocher noir frappé par la foudre en tenant dans sa main le manuscrit tracé en traits géométriques par les scribes de la tribu.Lui même ,le plus savant de tous ne savait pas exactement le sens de ce qu'il lisait ,mais il le faisait chaque jour pour consolider la tribu et dissuader les cannibales de se manger entre eux.Chose qu'il ne pouvait lui même garantir de ne pas faire .il lui arrivait bien de mordiller l'un ou l'autre mais il n'allait pas jusqu'à la fin même lorsqu'il avait vraiment faim.Les autres se bouffaient entre eux sans autre forme de procès et l'on ne trouvait que des cadavres à la place des individus mangés .

Afki se considérait comme l'âme du clan ,celui dont la perte laisserait des traces indélébiles dans le corps social de la tribu . Personne d'autre que lui ne pourrait réguler le déroulement de la grande communauté sans avoir recours à la violence .Il devait gérer une bonne répartition des parts des natifs des autres tribus ennemies chassés dans la jungle et qui sont mangés au fur et à mesure ,le stock de nourriture était gardé par deux guerriers végétariens qui se relayaient dans une grotte froide pour maintenir les aliments en bonne condition .La chasse à l'homme commençait après la première prière qui débutait aux premières lueurs du jour .Afki lançait son appel dans une corne de rhinocéros du haut de la plus haute branche et plongeait ensuite dans l'eau glaciale du sirgh ,le fleuve qui partageait le campement en deux parties inégales ,dont l'une appelée "l'au delà" servait aussi de cimetière .Une fois la prière terminée ,adieu le saint ,et tout le monde se mettait à la recherche de quelqu'un à manger .Il y a ceux qui tendent leurs pièges sur la route qu'empruntent les buveurs ,d'autres tendent le leur un peu plus loin et de manière si discrète et si camouflée que l'un d'entre eux ,et c'est arrivé,se laissait prendre dans ses propres rets.Il était alors mis en pièces par ses propres voisins qui le dévoraient crû pour lui donner une leçon(!) .Chacun attendait la bouche ouverte qu'un humanoïde ennemi veuille bien pointer son nez et après s'être rendu compte par la coupe des cheveux que la victime potentielle était d'un clan différent ,alors on lui sautait dessus illico presto et l’assommait à l'aide d'une massue, avec une précision de judoka ,avant de le transporter vers la grotte de refroidissement où l'on devait le garder avant de le livrer à son sort fatal. (à suivre)

Cannibale : Anthropophage des Caraïbes