le martyr du diabète
Un jour de Décembre,le 28/12/04 exactement, s'est éteint un
martyr pas comme les autres.Dans son silence obscur il a rendu l'âme
après l'ultime prière de la nuit...l'ultime prière également de sa nuit
d'aveugle.Diabétique tardivement diagnostiqué,il en a perdu le bonheur
de voir la lumière des jours.Ses yeux se sont éteints lentement mais
inexorablement à tel point qu'il ne trouvait plus de différence entre le
jour et la nuit dans sa mansarde ancestrale,creusée plus que bâtie dans
le mur d'enceinte du Ksar de Goulmima.
Tout
le monde se rappelle ce jeune homme grand et fort, au faciès de
séminole, avec son nez droit et ses muscles à fleur de peau toujours
actif et travailleur.De petits jobs qui suffisaient rarement à subvenir
aux besoins de sa famille.
Pauvre
il s'acharnait à vivre,se défiant de tout ce qu'on pouvait murmurer à son passage et l'on se rappellera toujours le
célèbre foulard blanc qu'il s'attachait,à la diable,sur la tête d'une
façon qu'il est le seul à réussir sans délier le turban.Thami Lehmam
"hmou" pour les intimes",affichait sa singularité avec audace,il était de
toutes les fêtes pour gagner sa vie et rares étaient,du temps de sa
jeunesse,les mariages où l'on n'entendait pas sa douce voix au timbre
langoureux rappelant le roucoulement des pigeons.
Lui
qui était de toutes les fêtes est mort dans le silence.Le silence le
plus total de sa nuit,semblable en cela à un rossignol atteint
d'extinction de voix , doublement muré dans la cécité et dans
l'indifférence des hommes.Et comme toujours, ce n'est qu'après avoir
enterré nos morts que l'on regrette de n'avoir rien fait pour eux...
Il est mort debout comme meurent
les palmiers centenaires d'"agrd olghm" son coin préféré de l'immense
palmeraie du Ghriss.La perte de l'usage de ses yeux l'a enfermé dans une
résignation totale à son sort de multi handicapé ...seule sa foi en
dieu éclairait ses ténèbres les jours où demeuré seul il se repassait en
mémoire les verts oliviers et les flocons de neige sur l'amandier
fleuri au printemps.La maladie ne lui a pas laissé le temps de voir
toute sa vie, mais seulement de l'écouter. Alors il écoutait
attentivement.Une sérénité étrange remplissait tout son être maigri par
la maladie.Il ne perdait jamais un mot de la conversation fût elle
anodine.Son monde intérieur s'était enrichi de telle façon qu'il pouvait
survivre à tous les malheurs imaginables.Que pouvait danc faire d'autre
un non-voyant incapable à chaque pas de certifier qu'il ne le
bousculerait pas dans l'abîme?
Sa
vie,et aujourd'hui sa mort sont une véritable leçon de stoïcisme.Le
registre de l'hôpital portera inscrites laconiquement,et avec un froid
de morgue les lettres D.I.D (diabétique insulino-dépendant),devant,la non moins laconique,indication de type de sa maladie ,
un monumental pléonasme pour celui qui dépendait absolument de tout et
pas uniquement de l'insuline.Les services hospitaliers n'ont jamais
failli à leur devoir de lui laisser son flacon de côté,et même pour
certains de le lui livrer à la maison à cause de son handicap,dieu le
leur reconnaîtra là où les bonnes actions s'échangent à prix d'or.
Cependant
même diabétique on ne vit pas uniquement d'insuline et d'eau
fraîche.Lehmam,en arabe le téméraire,est mort,c'est bien naturel,mais il
n'aurait dû jamais devenir aveugle.Pour ses rares amis un palmier vient
de succomber à la bourrasque étouffante de l'insouciance.Dans un pays
où l'on ne découvre encore son diabète qu'au hasard d'un prélèvement
pour toute autre chose,ou pire encore après un coma diabétique aux
symptômes latents, voilés derrière la formule consacrée et assassine .
Meublons
le silence des dizaines de Thami lhmam dans la vallée du
Ghriss,agissons pour que les diabétiques et les insuffisants rénaux de notre région accèdent à de
meilleurs soins,et tendons aux indigents d'entre eux une bougie,au
moins,pour éclairer les ténèbres de leurs nuits froides de solitude et
de privations pour faire face à toutes les dépendances...
Commentaires
Benthami de tadighoust