projet de roman le 6/2/2017

nous sommes tous sans exception des "médiums" d'une conscience collective qui émerge vers "l'extérieur" à travers les plus fragiles et les plus "réceptifs" d'entre nous ,tout comme le magma du volcan ne sort qu'à travers les croûtes terrestres les plus fragiles,qui n'opposent pas de résistance à son éruption .il y a ceux qui se prélassent dans l'hypocrisie du quotidien ,dans les faux-semblants et de l'autre côté il y a ceux qui refusent les fausses évidences et qui posent des questions ,il faut choisir son camp .Les mensonges nous tranquillisent alors que la vérité nous dérange ,mais il faut oser ...
Aheddoun n' est ni un demi-Dieu,ni une quelconque divinité Grecque se prostituant sous la plume du premier venu.Ce nom ne méritera sa
place parmi tant d' autres que par la force de suggestion qu' il ne cessera de dégager dans ses relations avec autrui.Ces autres personnages hissés au rang de partenaires d'un itinéraire parallèle à celui de cette énigme vivante qui ne cessera de manifester sa présence ,celle du nom d'abord puis celle de l'être qui le porte ou qui le su-porte...

Lorsque les bouts des doigts te démangent de cette envie irrésistible de taper sur les petits carreaux magiques du clavier tels de minuscules


touches de piano pour chanter le Cri du Cygne ,dans un dernier élan de désespoir de voir ce monde filer à une vitesse cosmique vers sa perte


.Lorsque assoiffé de justice ,tu te rends dans les tribunaux pour noter sur ton petit carnet le nombre de procès gagnés par les opprimés et tu


reviens avec toutes les feuilles vides ,alors que ceux pour les causes desquels tu as fait tout ce chemin ,non seulement ne gagnent pas leur


cause ,mais sont, en sus ,ré-inculpés pour insubordination et outrage à la cour ,juste parce qu'ils ont eu l'audace de parler dans la langue de


leurs mères ,devant un juge qui n'y comprenait rien .Tu te fous du monde ,puis tu te résignes à reprendre la lutte et reviens chaque jour de


jugement pour suivre d'autres procès perdus ...Etre humain ,que ne renonces-tu au reste de tes jours ,que ne les échanges-tu contre un peu


de bonheur pour un jour ou deux qui viendront te rassasier de tous les autres ? Le goût des carottes cuites est-il donc si alléchant pour te


donner le courage de multiplier les copies des jours dans ta servitude , ta respiration saccadée ,jamais profonde comme les nuits et qui ne fait


qu’alourdir l'atmosphère de ton haleine dont le trou d'ozone déjà béant pourrait bien se passer largement ,ne pourrais-tu au moins couper les


gaz et arrêter de torturer par tes buées carbonées la surface de ta mère ,cette terre qui en a marre de t'avoir sur son dos éternellement


comme si tu étais le fils unique ,alors qu'elle grouille d'une vie beaucoup plus utile et moins polluante ,moins contagieuse que ton humanité qui


la brûle sous toutes les coutures et la saigne aux quatre veines ,dans ta faiblesse qui ne peut faire un pas sans casser une branche de


l'immensité sylvestre pour en faire une béquille ? Que ne t'évapores-tu au moins ,car tu ne peux rien attendre d'un monde auquel tu n'as


laissé aucune chance de se régénérer après ton passage ,disparais de la vue des animaux que tu as domptés à force de puiser toute leur


sauvagerie pour ton propre usage ,même si la leur est toujours usée à bon escient ,rame vers une autre galaxie de soufre et remplis-toi les


poumons à mort pour te désintégrer loin de toute forme de vie et rends-toi utile pour une fois dans ta chienne de vie ,et surtout délaisse les


chiens car ils ne t'ont jamais exprimé devant témoins leur préférence pour tes chaînes et tes niches auréolées de fausses fleurs en plastique


non biodégradable ,au lieu de leur liberté de loups solitaires ,Homme ,que ne fiches-tu le camps de la nature qui ne te regretteras jamais et qui


ne te sourit jamais malgré tes poèmes naïfs faisant l'éloge de sa beauté ?


Chapitre premier.


Le plus loin que remontent mes souvenirs,quand mon oeil vit Khô pour la première fois ,il était en short avec un ballon en plastique dur sous le pied droit.Il aimait beaucoup le foot et sa passion consistait à se mettre ainsi en tenue de jeu et de montrer ses jambes à peine couvertes d' un duvet jaune aux rares passants matinaux de sa rue natale baptisée "znekt", par lui et ses copains.Son père ,sergent retraité de l' armée avait un faciès hitlérien accentué par le petit buisson de moustache qu' il s' obstinait à entretenir sous son appendice nasal ; ultime refuge d' un point d' honneur de cet ex-poilu à la marocaine; qu' il refuse de livrer à la lame assassine de Minora stainless. Son influence sur Khô était
manifeste et cela ne faisait qu' aiguiser en ce dernier un farouche besoin de liberté qui explosait au premier contact d' oxygène propre sur le seuil de la maison.Une fois sorti,il était l'un des maîtres dans la rue que ses amis et lui transformaient en terrain omnisports selon les
saisons.Ses copains étaient tous nés dans la même rue.Ils étaient ses voisins immédiats ou pour certains, habitaient à une centaine de mètres
au maximum.Ils avaient tous le même âge ou presque et fréquentaient avec peu d' assiduité ou du moins avec peu d' entrain la même école et
la même classe.A cet âge ,quatorze an à peine pour les plus âgés l' école pour nous n' était qu' une contrainte dont nous ne saisissions pas
encore pleinement le sens.C'est cette même école que nous n' hésiterions pas à désigner souvent comme la source de tous nos malheurs.Khô s'
en moquait en toutes occasions ,il avait cultivé un don inégalé pour toutes formes de plaisanteries,de moqueries,de mots d' esprit de tous
genres auxquels n' échappait aucune de ses connaissances,si ce ne sont pas même des gens inconnus de passage dans "sa" rue.Il s'escrimait à
mimer tout ceux qu' il lui arrivait de voir dans des situations qui lui semblaient comiques. préparant minutieusement sa mise en scène
incognito devant la glace de sa petite salle de bain familiale et la présentait à ses copains durant les longues veillées hivernales derrière le bain
maure des aït ka ,autour d' un feu de braises.La bande n' znkt puisqu' il faut appeler un chat par son nom,était formée d' une demi douzaine
de galopins.Ils étaient les "fils de la rue" tel qu' ils se désignaient eux-mêmes et vivaient dans une forme de communisme enfantin où les plus
forts avaient les meilleurs parts comme chez les grands.Chacun de nous était tenu de participer aux frais communs pour l' achat des
ballons,des tenues sportives ,des godasses mikhnaz ,dernier cri de Boutaj qu' on rembourrait au coton d' oreiller pour les rendre chaussables
.Les matchs se déroulaient dans un terrain sauvage ou un autre selon l' équipe adverse;chacune ayant son propre terrain improvisé ,soit dans
un anrar ,terrain de battage souvent inoccupé exception faite de la saisons de récoltes des dattes ,de séchage de la luzerne ou du battage des céréales . Ainsi quand notre équipe jouait contre les fils des mokhaznis appelés communément " aït mobile" chacun préférait être le plus proche possible de ses bases-arrières que représentaient les maisons.Pour avoir déjà eu maille à partir avec ces mobiles ,réputés pour leur caractère belliqueux e tsurtout à cause de leur grand nombre,nous options stratégiquement pour le terrain situé prés de la maison du docteur.on pouvait au besoin l'agrandir en débordant sur l' asphalte. C' était un espace qui donnait l' avantage aux mobiles au cas où le jeu tournait mal,mais qui avait aussi l'avantage d' être le plus proche de nos maisons, ainsi était-on quittes.on pouvait au besoin jouer sur l' asphalte qui traversait cet espace devantl' école. La promiscuité d' une rivière souterraine à laquelle on accédait par une espèce de trappe garnie de marches ,jouait en faveur du choix de ce terrain notamment pendant les grandes chaleurs où l' on avait besoin de se désaltérer durant le match.Deux grosses pierres de taille respectable étaient posées à chaque bout de ce terrain de fortune et symbolisaient les bois du but.Il était toujours très difficile de trancher sur la légalité des goals marqués par la voie des airs ,mais l' arbitre avait le dernier mot.ces échauffourées où les coups bas étaient des formules de politesse et les injures des codes de reconnaissance ne se terminaient jamais sans quelques escarmouches.Nous en venions souvent aux mains,qui ne tardaient pas à se saisir d' une branche de palmier sèche munie de piquants "aghlayz" pour intimider l' adversaire. Nous faisions corps dans ce combat et nous frappions en groupes .Plus d' une fois nous avions livré bataille aux mobiles mais il fallait alors faire de la guérilla et non un combat rangé car ces jeunes diablotins avaient vite fait de monter sur les créneaux de leur caserne ,derrière les quels ils se cachaient ,qu' il nous était interdit nous ,les fils de civiles, d' escalader et de nous bombarder de jets de pierres qu' il avaient au préalable emmagasinées sur les toits en prévision de ces batailles.Arrivés là nous devions battre en retraite et nous replier sur nos positions arrières,en l'occurrence derrière le bain maure où derrière la maison du super caïd où nous avions des positions respectables et mieux défendables. des fois il résultait de ces querelles des blessures plus ou moins graves ,des cas où le joueur atteint était d' urgence évacué à bicyclette vers l' hôpital .L' infirmier permanent se limitait souvent à lui appliquer un liquide rougeâtre sur la plaie pour la désinfecter sans plus,des fois il pansait le membre ou l'orteil endolori et renvoyait le patient chez lui .Khô n' était jamais loin pour se saisir de cette occasion et se moquer narqouisement de la victime de l' incident à qui il lançait goguenard:"Toi taknafoute tu mourras dans la craie ,la blanche à l' école et la rouge en antiseptique à l' hôpital" La sentence bien sentie et surtout pour qui connaissait taknafoute; avait déclenché l' hilarité générale.La notoriété de notre groupe provenait de ce que nous étions des fils de fonctionnaires de divers services et que nous avions de ce fait des alliances dans les différentes administrations .A l'hopital il y avait le père de laâssoum qui nous introduisait chez le docteur si le besoin s' en faisait ressentir.Le valeureux bonhomme avait une conscience professionnelle très aiguisée et refusait de se mêler aucunement de ce qui ne touchait pas directement à son travail pour éviter les problèmes .Il répondait souvent à quiconque lui demandait une information sur la présence du docteur dans son bureau avec un long "oursss.." bien tourné (je ne sais pas en tamazight) qui laissait le demandeur interdit d'autant plus qu'il avait vu de ses propres yeux le médecin entrer audit bureau. Au tribunal il y avait le père de Salas ou le mien ,surtout pour les papiers administratifs exigés pour la scolarité .C' est que nous,les fils n'Znkt avions autorité sur une bonne partie du territoire qui s'étendait depuis le rond-point que nous partagions certes avec d' autres bandes du village ou de mobile en temps de paix ,mais nous tenions par instinct de propriété quasi- animale à venir pisser sous les rosiers prés des sièges en ciment en forme de "S";histoire de démarquer comme des félins notre territoire.Notre fief s' étendait jusqu' aux confins d'Ighrem,là où d' autres bandes telle que celle d'abza ou de Feu H.régnaient en maîtres .Nous étions une demi-douzaine d' adolescents inconscients pour qui le bonheur consistait à pouvoir gagner de quoi jouer aux cartes à Ajourri ,la fameuse cascade que forme la grande rivière (targa takhatart) pour épouser la déclinaison du sol et qui a été témoin de nos premiers barbottement dans l'eau avant que nous passions aux étangs laissés par la crue de l' Oued ghriss à l'étang de la chatte ou "tamda n'tmichout" en tamazight.Quand nous n'étion's pas là ce devait être sous les oliviers derrière l' immense domaine du super-caïd à qui nous volions les grenades au coucher du soleil ou encore des oranges, grosses comme des melons et que nous mangions sur les lieux même du larcin ;en laissant bien en vue les éplûchures sur le gazon .

Chap 2

Khô était toujours de ces virées.Il était l' âme du groupe ,celui qui vous faisait éclater de rire en plein deuil de votre grand-mère.et même si ce
n' était pas lui qui menait ce groupe il était indispensable à sa continuité.Les autres ,Salas le fils du patron de l' hôtel profitait de cet avantage
pour avoir toujours les meilleurs morceaux,cela se traduisait à l' époque par des mégots plus longs que ceux des autres puisque le milieutouristique dans lequel nous évoluions nous avait initiés très jeunes aux délices de la fumée passée par les narines et bien d' autres choses encore que nous allions découvrir au fur et sans mesure.Arbeïten,lui fils d' un voyagiste free-lance comme on dirait de nos jours ,était le mécano de la bande .Celui qui réparait nos bicyclette moyennant quelque menue monnaie ,mais aussi celui qui allait jouer des rôles plus
importants lorsque nos activités allaient s' élargir avec l' âge.Il avait perdu son père très jeune ,ce qui le libérait de toute autorité .l' autre fils
de la rue était taknafout , il était le fils unique d' un célèbre commerçant du village connu pour son esprit calculateur.Taknafoute était
l'incarnation en chair et en os du proverbe "à père avare ,fils prodigue",malgré ses maigres ressources qui ne filtraient d' entre les mains de
son père qu'au millimètre il était dépensier ,ce qui ne l' empêchait point de calculer chaque dépense avec une méticulosité de vieille veuve ce
qui lui valait bien parfois la moquerie des autres.Bakou et son frère Youka ,étaient également des membres à part entière quoi que seul Bakou
plus âgé était le seul à être admis dans le groupe ,son frère youka vu son âge plus jeune n' était pas toujours admis dans certaines opérations
mais sa petite taille et son agilité en faisaient un atout irremplaçable quand il s' agissait de monter agilement en haut des grands palmiers pour
agiter les palmes et faire pleuvoir les dattes succulentes ou encore d' "automniser" le jardin du juge ou du petit caïd.Ceci était le noyau dur de
la bande des fils de la rue .Bien sûr s' ajoutaient toujours deux ou trois autres adhérents éloignés selon la nature des activités et des saisons .
Les jours passaient ainsi dans la joie innocente d' une enfance qui ne se sentait pas misérable bien que les conditions de la majorité de leurs
familles n' étaient point favorables.La pauvreté était une chose bien naturelle que nous avions apprivoisée et les adultes eux-même initiaient
leur progéniture à la sagesse forcée d' accepter une vie peu souriante; tout en cherchant à se distinguer par des études brillantes qu' eux n'


avaient pu faire et d' améliorer ,par la même voie, la situation familiale assez précaire.Nous avions aussi en commun d' être nés dans des


familles nombreuses avec en outre beaucoup de mâles ;ce qui faisait que nos parents perdaient rapidement le contrôle et ne savaient plus de


qui s' occuper en premier, nous laissant de ce fait ,par excès ou par défaut une bonne marge de liberté.

Nos parents étaient très exigeants concernant nos études et nous recevions bien des raclées de temps à autre lorsque l' un ou l' autre de nos


maîtres d' école nous surprenaient au village sans panier justificatif en main.Nous étions obligés sous peine de tortures inimaginables,d' être le


plus souvent possible présent en classe ,mais nous faisions l' école buissonnière de temps à autre .Ces soirées que nous volions passionnément


au régime quasi-carcéral de l' école étaient comme une victoire contre ces adultes qui nous mettaient derrière quatre mûrs pour se


débarrasser de nous et pouvoir vaquer à leurs laborieuses tâches quotidiennes interminables.Le fait que nous étions nombreux dans la famille


n' empêchait pas un contrôle assez rapproché de chacun d' entre nous.Khô avait la chance tout comme taknafoute d' être des fils uniques .Son


père ancien sergent était très autoritaire et nous faisait peur même à nous qui n'étions point ses enfants. Il employait tous les moyens


imaginables pour dissuader le petit kho de ses mauvaises habitudes et l' inciter à suivre le droit chemin ,mais ce dernier,qui allait bientôt


hériter du grade de son père dans la bande était rétif à certains arguments .Dans ces cas la rudesse du caractère du militaire remontait en


surface ,il se lassait vite des bonnes manières et Hitler tabassait le petit kho à mort devant lalla ,sa mère résignée après avoir vainement tenté


d' intercéder en sa faveur .Le petit kho était choyé dans sa famille.Il avait déjà son petit vélo personnel ,lorsque le plus verni d' entre nous


enfourchait la vieille bécane paternelle encore trop lourde .Néanmoins sa situation de garçon unique de sa famille ne pesait que peu dans la


cafetière de son soldat de père .Les colères du Führer étaient terribles .Combien de fois le petit kho ne s'est -il confié à l' un ou l' autre de ses


amis ,les suppliant de lui gratter les séquelles des blessures qui lui zébraient le dos, tracées par la boucle de la célèbre ceinture militaire


vert-olive.Le confident n' attendait bien sûr que le moment où le petit kho était absent pour rapporter avec force détails la raclée subie par le


jeune garçon,ce qui lui valait d' être à son tour la risée des fils de la rue qui se vengeaient ainsi collectivement de ses plaisanteries sarcastiques


et de ses mauvais tours.

Lorsque le match de foot hebdomadaire était joué contre Âït tâwanine ils imposaient toujours de jouer sur leur propre terrain situé en pleine


palmeraie verdoyante.C' était une aire de battage "anrar" en tamazight servant au séchage ,au battage des fruits et des graines de toutes


sortes mais servait également ,hors saison,de terrain de foot .Nous avion le nôtre mais ils refusaient de s' y aventurer de peur d' être coupés


de leur territoire par la tribu belliqueuse des mobiles.Ce n' était souvent qu'aprés maints conciliabules par les émissaires réciproques des deux


équipes qu' on se mettait d' accord pour jouer sur un terrain neutre.Le seul espace convenable en pareille situation était "le dehors des


dehors" expression amazigh locale pour désigner un terrain vague dans un no-mansland qui s' étendait derrière le lycée que nous allions tous


fréquenter plus tard.Une étendue de champs asséchés et dont les pieds des footballeurs en herbe avaient transformé la terre ,autrefois dure


en poussière que le vent nettoyait pour mettre à nu un sol plus dur encore, et sur lequel la moindre chute pouvait s' accompagner de


traumatismes ou du moins de commotion plus ou moins graves.Pour ces jeunes que nous étions ,aguerris par le nombre de chutes à tel point


que le jeu ne s' arrêtait que si la blessure était de l' ordre d' une fracture.Sinon le sang pouvait coule d' une narine ou d'un gros orteil;la terre


,cette poudre que soulevaient nos pas pouvait servir aussi de poudre hémostatique.Mais le ballon rond ,si grande que soit sa passion dans nos


coeurs ,n'en était pas pour autant ni le seul ni le meilleur jeu que nous pratiquions.A chaque saison son jeu .nos distractions allaient varier


suivant des lois économiques dont nous ignorions tout à l' époque,la marque des jouets, leurs couleurs distinctives avaient un secret que nous


n' allions découvrir que bien plus tard avec les premiers cours de sémiotique.Pour l' instant nous nous contentions de nous amuser avant que l'


âge adulte ne vienne nous coudre les lèvres et nous empêche d' ébaucher le moindre rictus.Nous suivions notre petit bonhomme de chemin


tout tracé par l'eternel tisseur de destins dont la clémence se traduisait dans nos petites têtes innocentes par un nombre de billes plus grand


que celui du voisin .Avec si possible un ou deux"pouces" en acier extraits des roulements à billes des motos et qui étaient plus chères .C'est


qu'une bille en acier pouvait mettre fin à la partie du premier coup ;si la force de projection de la bille d' acier arrivait à casser la bille en verre


de l' adversaire et la rendre irrémédiablement inutilisable ,mettant ainsi l'alter ego hors jeu. Nous entretenions des rapports très intimes avec


notre "pouce" en acier dont la rotondité parfaite était vérifiée en le fixant en position de tir devant la catapulte formée par le pouce de la main


replié ,maintenu en tension par l' index et rapproché de l' oeil directeur.

Comme une petite minorité d' entre nous le petit kho excellait au jeu de billes.Bien sûr il avait du dépenser presque à chaque fois tout son


maigre argent de poche pour s' acheter des bille et apprendre à maîtriser ce jeu mais il en était récompensé ;jugeant que ses efforts avaient


porté leurs fruits d' autant plus qu' il lui arrivait maintenant très rarement de perdre toutes ses billes;quitte à tricher pour éviter ce drame.il


évitait de perdre pour ne pas être acculé à emprunter des billes de ses amis ou encore chercher des courses à faire à la maison pour pouvoir


se payer quelques unes de ces magiques sphéroïdes qui semblaient ,par leur beauté cristalline ,provenir d' une autre planète.Des fois dans des


moments de contemplation nous observions avec l' émerveillement enfantin ces petites boules multicolores séduits par cette aura qui les


entourait à en faire de vraies boules de cristal dont on n' attendait que la sentence oracleuse...Les minuscules dessins en fleur qu' une main


fabuleuse avait introduits ,on ne savait par quel enchantement dans ces billes attisaient notre curiosité et nous poussaient à les casser pour en


percer le secret ,mais en vain.Une fois la bille brisée,plus de dessin ni de fleur ,une simple illusion d' optique.C' était pour nous des dessins


magiques au seuil d'un monde fantastique que nous ne savions pas déchiffrer,ils ouvraient un monde hypnotique et chacun choisissait d' entre


les différentes couleurs celles de ses rêves.

Chap3

Lorsque ,éreinté par son errance et ayant harassé le carridge d'Hélios ,Phébus l'astre du jour se couchait dans les bras ensorceleurs de Morphée


;nos jeux continuaient sous les moins poétiques lampadaires des rues déjà éclairées à l'époque par la haute tension ;qu'on appelait


laconiquement "Bin Louidane" en référence au barrage du même nom qui fournissait cette énergie providentielle. Pour éviter aussi de la


confondre avec la lumière des groupes électrogènes.Sous les poteaux en ciment garnis de marches pour monter mais aussi de piquants pour


nous en dissuader à hauteur de la tête de mort,nous continuions les jeux de billes mais en "mkhout" qui consistait à deviner le nombre de


billes contenues dans la paume fermée de l'adversaire et les gagner totalement en cas de succès.La paire était désignée par le mot"tyug"et


l'impair par le mot "froud";c'étaient des mots de notre langue et d'ailleurs les premières leçon nous avaient déjà mis la puce à l'oreille .Nous


avions effectivement noté que les mots que nous apprenions à l'école n' avaient rien de commun avec la langue dans laquelle nous nous


entretenions chez nous à la maison et dans la rue.Nous sentions bien cette différence flagrante entre la langue dans laquelle nos parents


faisaient leurs prières et celle qu'ils employaient juste aprés pour nous insulter pour leur avoir plié le tapis avant le "salamou-alaykoum" final


du rituel .Cependant nous étions loin de saisir la complexité de cette situation qui allait petit à petit s'appesantir jusqu'à devenir


intolérable.Nous étions encore trop jeunes pour nous embarrasser de pareilles questions.Il est vrai que notre "igdi" n'avait nulle commune


mesure avec le "kalboune" de la telawa mais cela nous dépassait.Nous étions plongés sans le savoir dans trois cultures différentes qui s'


exprimaient en autant de langues.Déjà les noms des jeux que nous découvrîmes bien avant l'abécédaire nous emmenaient par leurs vibrations


distinctive vers les bords d'un autre monde que nous ne faisions que deviner derrière ces prénoms différents de Léo et de Rémy que nous


trouvions dans les manuels des cours préparatoires et notamment le célèbre "bien lire et comprendre" qui allait nous accompagner jusqu'à


l'obtention du certificat des études primaires .Le jeu de bille était prolifique de mots français parfois déformés pour être conjugués dans la


langue maternelle .Ainsi le mot "la raie",désignait le trait tracé à même le sol pour établir une priorité au jeu :le premier était celui qui s'en


était approché le plus et ainsi de suite.Les mots "main haute" étaient prononcés "méhotte" désignaient la position privilégiée de pouvoir


mettre une main sous l'autre lui servant de rampe de lancement de la bille,ce qui permet d'avoir un tir plongeant ,beaucoup plus efficace en


terrain accidenté ,lorsque la bille de l'adversaire se trouve dans une crevasse.L'astuce consiste à crier "méhotte" (càd main haute)avant lui et


peut-être même d'ajouter promptement "balyage",ce qui obligeait l'adversaire à vous permettre de ratisser la position de la bille convoitée


,parfois au talon de chaussure pour la rendre plus visible .

Au printemps c'était la chasse aux oiseaux qui emportait la majeure partie de notre temps.A l' approche de la saison nous devions préparer


notre artillerie qui consistait en un solide lance-pierres fabriqué par des maîtres es la matière ,membres de notre bande.Plus tard nous


apprîmes d'eux à exceller dans la conception de ces véritables armes de jet redoutables.Il fallait avant de commencer le travail se procurer la


matière première qui consistait en des élastiques dont on se sert pour attacher des objets sur le porte-bagages des bicyclettes;il fallait aussi


un morceau de cuir pour découper "tagwlimt" qui allait recevoir la pierre avant qu'elle ne soit lancée,en plus d'une branche d'olivier en forme


d'Y pour fixer les élastiques et pouvoir projeter la pierre.Cela se préparait en plusieurs étapes dont la plus difficile est de se procurer les


élastiques .Chacun devait alors se mettre à la recherche d'une bicyclette quelque part et en voler subrepticement l'objet convoité .Pour nous


faciliter la tâche nous nous munissions d'une lame de rasoir avec laquelle nous coupions le noeud sur le porte-bagage et filions avec notre butin


.Certains étaient passés pour des spécialistes dans ce genre de larcin .Ils commençaient par marquer la victime dont ils connaissent les


habitudes à travers de précédentes observations .Ensuite ils s' approchaient du vélo et tout en s' asseyant dessus dénouent l'élastique et se


l'attachent autour du corps sous les vêtements avant de disparaître .Le jour du souk hebdomadaire était une occasion en or à ne pas rater


pour s'emparer du sien ,sinon il fallait se résoudre à en acheter, un moyennant d'autres objets ou de l'argent."Tagwlimt" était découpée


souvent dans le tapis de prière en peau de mouton et les parents prieurs découvraient ainsi au petit matin une coupure singulière dans leur


sejada.Quant au support en bois il fallait lui consacrer une bonne heure à chercher parmi les branches d'olivier celle qui avait les meilleures


caractéristiques .Il fallait effectivement que "Tichoute" cette branche en Y se rapproche le plus parfaitement possible de cette lettre .La


précision du tir en dépendait car la moindre inclinaison à droite comme à gauche faussait la mire et ratait l' oiseau qui pouvait en être alerté et


détaler du premier coup.Une fois la bonne branche trouvée il fallait la couper soigneusement à la bonne taille et veiller aussi à lui laisser un


bon manche bien solide .Ensuite il faut la laisser sécher au soleil durant une journée aprés avoir pris le soin d'en attacher les deux rameaux


laissés encore trés longs afin qu'elle garde cette forme une fois durcie .Le lendemain on se réunissait à un endroit fixé .Cela pouvait être


derrière la maison du caïd ou derrière le bain maure .Chacun s'occupait à fabriquer son propre lance-pierres .On se passait la lame de rasoir


d'une main à l'autre et on se prêtait les filaments d' élastique pour fixer les bretelles.Pour cela des lanières sont découpées des vieilles


chambres-à-air des bicyclettes qu'on allait mendier aux réparateurs de vélos .Une fois le dispositif monté chacun devait essayer le sien .Pour


cela on plaçait des bouteilles de bière ramassées derrière l' hôtel les palmiers et l'on s' exerçait dessus.Les soirées de chasse pouvaient


commencer .Nous tirions sur tout ce qui bougeait ,même les grenouilles qui avaient eu la poisse de se trouver la tête hors de l'eau se


retrouvaient un laps de temps après sur le dos dans la position du lutteur de Sumo .Bihi ,un outsider qui refusait catégoriquement de faire


partie de notre bande ,était un chasseur émérite au lance-pierres.timide et renfermé il ne pouvait supporter les taquineries des autres,alors il


partait seul et ramenait souvent plus de tourterelles et de gibier que nous tous. Lorsque Bakkou,le seul à tisser avec lui des relations plus


étendues lui demandait de l' accompagner dans ses randonnées Bihi refusait:

-Vous êtes trop bruyants pour attraper des tourterelles ,cet oiseau est tés méfiant et exige une approche à l'indienne.

-Ne crains rien je fermerai ma gueule ,je ne parlerai pas.

-C'est ce que tu m'as déjà dit la dernière fois mais tu t'es mis à rire trop bruyamment quand tu ratas le bords de la rivière et l'oiseau s'est


envolé...Je préfère y aller seul!

Il s'en allait ainsi par la petite ruelle serpentant entre sa propre maison et le bain des aït ka ,déjà les épaules courbées pour le cas où quelque


rouge gorge se trouverait dans le figuier dont les bras dépassaient le mur du bain.Bakkou n'était pas mauvais chasseur non plus mais il avait


le défaut de rire pour des riens c'est pourquoi chacun évitait ce compagnon bruyant dans des situations où le silence était de rigueur.C'était la


seconde arme par laquelle on pouvait tromper le gibier qui était à l'affut du moindre mouvement pour changer de palmier. (à suivre)


Les jours passaient ainsi dans la joie innocente d' une enfance qui ne se sentait pas misérable bien que les conditions de la majorité de leurs


familles n' étaient point favorables.La pauvreté était une chose bien naturelle que nous avions apprivoisée et les adultes eux-même initiaient


leur progéniture à la sagesse forcée d' accepter une vie peu souriante; tout en cherchant à se distinguer par des études brillantes qu' eux n'


avaient pu faire et d' améliorer ,par la même voie, la situation familiale assez précaire.Nous avions aussi en commun d' être nés dans des


familles nombreuses avec en outre beaucoup de mâles ;ce qui faisait que nos parents perdaient rapidement le contrôle et ne savaient plus de


qui s' occuper en premier, nous laissant de ce fait ,par excès ou par défaut une bonne marge de liberté.

Nos parents étaient très exigeants concernant nos études et nous recevions bien des raclées de temps à autre lorsque l' un ou l' autre de nos


maîtres d' école nous surprenaient au village sans panier justificatif en main.Nous étions obligés sous peine de tortures inimaginables,d' être le


plus souvent possible présent en classe ,mais nous faisions l' école buissonnière de temps à autre .Ces soirées que nous volions passionnément


au régime quasi-carcéral de l' école étaient comme une victoire contre ces adultes qui nous mettaient derrière quatre mûrs pour se


débarrasser de nous et pouvoir vaquer à leurs laborieuses tâches quotidiennes interminables.Le fait que nous étions nombreux dans la famille


n' empêchait pas un contrôle assez rapproché de chacun d' entre nous.Khô avait la chance tout comme taknafoute d' être des fils uniques .Son


père ancien sergent était très autoritaire et nous faisait peur même à nous qui n'étions point ses enfants. Il employait tous les moyens


imaginables pour dissuader le petit kho de ses mauvaises habitudes et l' inciter à suivre le droit chemin ,mais ce dernier,qui allait bientôt


hériter du grade de son père dans la bande était rétif à certains arguments .Dans ces cas la rudesse du caractère du militaire remontait en


surface ,il se lassait vite des bonnes manières et Hitler tabassait le petit kho à mort devant lalla ,sa mère résignée après avoir vainement tenté


d' intercéder en sa faveur .Le petit kho était choyé dans sa famille,Il avait déjà son petit vélo personnel ,lorsque le plus verni d' entre nous


enfourchait la vieille bécane paternelle encore trop lourde ,si ce n'était pas une vieille trottinette qu'on poussait à tour de rôle.Néanmoins sa


situation de garçon unique de sa famille ne pesait que peu dans la cafetière de son soldat de père .Les colères du Führer étaient terribles


.Combien de fois le petit kho ne s'est -il confié à l' un ou l' autre de ses amis ,les suppliant de lui gratter les séquelles des blessures qui lui


zébraient le dos, tracées par la boucle de la célèbre ceinture militaire vert-olive.Le confident n' attendait bien sûr que le moment où le petit


kho était absent pour rapporter avec force détails la raclée subie par le jeune garçon,ce qui lui valait d' être à son tour la risée des fils de la rue


qui se vengeaient ainsi collectivement de ses plaisanteries sarcastiques et de ses mauvais tours.

Lorsque le match de foot hebdomadaire était joué contre Aït tâwanine ils imposaient toujours de jouer sur leur propre terrain situé en pleine


palmeraie verdoyante.C' était une aire de battage "anrar" en tamazight servant au séchage ,au battage des fruits et des graines de toutes


sortes mais servait également ,hors saison,de terrain de foot .Nous avion le nôtre mais ils refusaient de s' y aventurer de peur d' être coupés


de leur territoire par la tribu belliqueuse des mobiles.Ce n' était souvent qu’après maints conciliabules par les émissaires réciproques des


deux équipes qu' on se mettait d' accord pour jouer sur un terrain neutre.Le seul espace convenable en pareille situation était "le dehors des


dehors" expression amazigh locale pour désigner un terrain vague dans un no-man's-land qui s' étendait derrière le lycée que nous allions


tous fréquenter plus tard.Une étendue de champs asséchés et dont les pieds des footballeurs en herbe avaient transformé la terre ,autrefois


dure en poussière que le vent nettoyait pour mettre à nu un sol plus dur encore, et sur lequel la moindre chute pouvait s' accompagner de


traumatismes ou du moins de commotion plus ou moins graves.Pour ces jeunes que nous étions ,aguerris par le nombre de chutes à tel point


que le jeu ne s' arrêtait que si la blessure était de l' ordre d' une fracture.Sinon le sang pouvait couler d' une narine ou d'un gros orteil;la terre


,cette poudre que soulevaient nos pas pouvait servir aussi de poudre hémostatique.Mais le ballon rond ,si grande que soit sa passion dans nos


coeurs ,n'en était pas pour autant ni le seul ni le meilleur jeu que nous pratiquions;à chaque saison son jeu .nos distractions allaient varier


suivant des lois économiques dont nous ignorions tout à l' époque,la marque des jouets, leurs couleurs distinctives avaient un secret que nous


n' allions découvrir que bien plus tard avec les premiers cours de sémiotique.Pour l' instant nous nous contentions de nous amuser avant que l'


âge adulte ne vienne nous coudre les lèvres et nous empêcher d' ébaucher le moindre rictus.Nous suivions notre petit bonhomme de chemin


tout tracé par l'éternel tisseur de destins dont la clémence se traduisait dans nos petites têtes innocentes par un nombre de billes plus grand


que celui du voisin ,avec si possible un ou deux"pouces" en acier extraits des roulements à billes des motos  qui étaient plus chers .C'est qu'un


pareil "pousse" pouvait mettre fin à la partie du premier coup ;si la force de projection de la bille d' acier arrivait à casser la bille en verre de l'


adversaire et la rendre irrémédiablement inutilisable ,mettant ainsi l'alter ego hors jeu. Nous entretenions des rapports très intimes avec


notre "pousse" en acier dont la rotondité parfaite était vérifiée en le fixant en position de tir devant le catapulte formé par le pouce de la main


replié ,maintenu en tension par l' index et rapproché de l' oeil directeur.

Comme une petite minorité d' entre nous le petit kho excellait au jeu de billes.Bien sûr il avait du dépenser presque à chaque fois tout son


maigre argent de poche pour s' acheter des billes et apprendre à maîtriser ce jeu mais il en était récompensé ;jugeant que ses efforts avaient


porté leurs fruits d' autant plus qu' il lui arrivait maintenant très rarement de perdre toutes ses billes;quitte à tricher pour éviter ce drame.il


évitait de perdre pour ne pas être acculé à emprunter des billes de ses amis ou encore chercher des courses à faire à la maison pour pouvoir


se payer quelques unes de ces magiques boules sphéroïdes qui semblaient ,par leur beauté cristalline ,provenir d' une autre planète.Des fois


dans des moments de contemplation nous observions avec l' émerveillement enfantin ces petites boules multicolores séduits par cette aura


qui les entourait à en faire de vraies boules de cristal dont on n' attendait que la sentence oracleuse...Les minuscules dessins en fleur qu' une


main fabuleuse avait introduits ,on ne savait par quel enchantement dans ces billes attisaient notre curiosité et nous poussaient à les casser


pour en percer le secret ,mais en vain.Une fois la bille brisée,plus de dessin ni de fleur ,une simple illusion d' optique.C' était pour nous des


dessins magiques au seuil d'un monde fantastique que nous ne savions pas déchiffrer,ils ouvraient un monde hypnotique et chacun choisissait


d' entre les différentes couleurs ,qui se trouvent souvent être celles de ses rêves.

     La bande des enfants de la rue ou "arraw nznekt" comme ils aimaient à se faire appeler était composée d'un groupe d'âges différents ,le plus âgé étant Arbeiten et Kho ,Salas ensuite venait Taknafoute Bakou Youka et moi .nous étions tous dans la même classe à l'exception de Youka .C'était les années où nous habitions ,ma famille et moi dans une maison près de la rivière ,ce n'était pas très grand mais nous n'étions pas encore nombreux à l'époque et cela suffisait ,car les enfants passaient le plus clair de leur temps dans la rue et ne revenaient le soir que pour dîner ,réviser un peu les leçons du lendemain et se recoucher et ainsi de suite durant des mois .A l'école on s'adaptait comme on pouvait ,on recevait des coups comme tout le monde ,on pleurait puis on se calmait en voyant les autres pleurer à leur tour ,lorsqu'on ne partait pas en un rire hilare qui devenait vite un fou-rire général que n'arrêtaient que les coup secs du bâton du maître sur son bureau nous intimant l'ordre de nous taire .Je me souviens bien que chaque jeudi était notre bête noire ,le jour de la bastonnade ,car c'était ce soir qu'on avait les leçons de grammaire en arabe .Le professeur d'arabe ,aujourd'hui décédé ,était un homme mince et anguleux qui faisait tout son possible pour faire de nous des petites têtes bien pleines de toutes sortes d'informations concernant la conjugaison ,la lecture et la grammaire arabe .La plupart des élèves avaient des difficultés à assimiler les cours d'Arabe mais comme ils n'y arrivaient pas ils développaient un certain nombre de stratégies défensives pour se protéger des coups de baguette mitraillés par la main maigre mais très énergique du maître .Il y avait ceux qui s’emmitouflaient dans des manteaux multiples ,ceux qui mettaient le treillis militaire de leur père;tout était bon pour ne pas sentir les coups .Le soir on se vengeait de l'institution scolaires en allant déguster les grosses oranges juteuses du directeur de l'école ,après avoir amadoué son vieux chien avec la dépouille d'un oiseau .Moi qui avait connu l'école dans des lieux encore plus inhospitaliers ,je trouvai là un vrai paradis ,situé à un jet de pierre de notre petite maison ,louée chez le père de khô ,ancien sergent de l'armée en retraite, qui avait depuis lors ouvert un café en plein centre-ville pour faire du thé aux anciens combattants qui se rassemblaient pour discuter de leurs jours sous les drapeaux ,de leurs nuits sous les draps tout court en sirotant du thé "à quatre étoiles" et en jouant aux cartes .

A Assoul où je "suis tombé dans l'école" selon la traduction littérale de ma langue maternelle,j'étais obligé de marcher dans la neige ,les jours d'hiver ,je me souviens que e surs de neige dépassaient de chaque côté dans ces parcours que nos parents nous creusaient à la pelle et qui ressemblaient à des tranchées de zouaves en pleine guerre ,chaque "ruelles" de neige menant à l'une des six maisons érigées sur la colline qui surplombait la bourgade .L'école était une vieille bâtisse de style colonial dont je garde peu de souvenirs ,tellement ils se sont estompés dans ma mémoire .Le climat à Assoul était et demeure très rude ,un froid glacial qui nous gelait les orteils ,malgré les lourdes chaussette que mon père s'ingéniait à nous tisser mon frère et moi en laine épaisse .C'est en ces temps là que j'étais obligé de dormir dans a jellaba pour ne pas perdre du temps à la mettre le matin .Une fois que ma mère avait servi le petit déjeuner ,je mangeais rapidement avant de chausser mes bottes montantes ,prenais mon cartable et empruntai notre ruelle de neige jusqu'au rond point où il venait rejoindre les autres ruelles ,c'est là seulement que je trouvais un fils des voisin que j’accompagnais à l'école .Je passai là trois années de ma vie de petit garçon dans une famille de trois garçons dont j'étais l'aîné le puiné ,mon frère allait entrer à l'école l'année suivante et ainsi j'avais quelqu'un avec qui faire tout le parcours .Je me souviens aussi que derrière notre maison d'Assoul se trouvait la grande demeure du caïd avec un grand jardin planté d'arbres fruitiers.Le fils du Caïd nous invitait souvent et nous nous empressions de monter dans les arbres où nous passions de longs moments à cueillir les fraises et à les déguster sans avoir à les laver ,les insecticides étant alors inconnus dans l'agriculture.Après ces trois années mon père fut muté à Marrakech ,par les soins de l'un de ses frères qui ,ayant inscrit son unique fille à la mission française ,voulait par cette mutation permettre à sa chère fille d'avoir un oncle à proximité pour passer les week-end,sans tenir compte du déracinement brusque causé à ses enfants ,mon frère et moi ,scolarisés ,qui fûmes obligés de changer d'école et d'aller à Marrakech.



  


                Marre à Kech ! 


 


                Marre à Kech ! 


Pour une petite famille arrivée dans la ville ocre du fin fond du sud-est dans les années soixante-dix l'adaptation fut très difficile .Cette ville qui allait connaitre par la suite un essor sans égal ,n'était pas encore très grande et l'on y vivait comme dans un film en blanc et noir des documentaires qu'on voit actuellement sur you-tube .Jamâa Lefna était encore une place terreuse où se donnaient en spectacle les dompteurs de singes ,de serpents et de toutes les sortes d'animaux .La rue que nous habitions , LQuennaria ,au Dreb Dabachi ,n'était pas loin de la fameuse place ,ce qui me permettait de me retrouver là en quelques jambées en passant sur l'épicier du coin chez qui je m'achetais des réglisses et des glaces "polo"avant d'aller me faufiler entre les jambes des grands pour écouter les fables de Douyazal,ou les histoires des prophètes ,mêlées aux sons de la flûte du charmeur de serpents .Les dimanches ,mon père ,qui travaillait comme agent dans un tribunal de la ville nous emmenait en promenade soit à Guelliz ,soit à El Harti ,ou encore pour voir la Koutoubia .C'étaient des randonnées de bonheur en famille ,dont je profitais parfois pour apprendre à monter à vélo .Ma cousine pour qui nous avions été déracinés venait chaque samedi ,passait la soirée avec nous et la journée de dimanche,puis rentrait au couvent des soeurs,où mon père la ramenait à dix-huit heures.

La rue Lqennariya ,très exigüe par endroits serpentait au milieu de bâtiments vétustes et délabrés du début du siècle dernier ,il y avait des immondices partout,les poubelles si elle existaient étaient renversés par les petits garnements ,par mégarde en jouant au ballon ,ou par quelque chien errant qui venait chercher sa pitance dans les déchets des Hommes .La rue bifurquait à partir de derb Dabachi sur la droite en entrant par jame3-Lefna ,nous habitions au numèro 41 ,une petite maison avec un escalier en zellije bleu et jaune ,composé de deux pièces d'un salon ,d'une petite kitchenette et d'une terrasse ,qui représentait à elle seule la richesse de cette maison modeste .On accédait au toit par un escalier en bois situé dans un coin de la cour ,et une fois arrivé ,voilà que s'offrait à vous l'étendue ocre de la ville des sept saints ,au coucher de soleil ardent doré par la couleur des murs ,un spectacle qui me retenait sur le toit jusqu'à ce que ma mère ,étonnée par mon absence et craignant un malheur me rappelle et je descendais frénétiquement les marches ,de peur d'un soufflet sur la nuque accompagné de toutes les invectives que pouvait formuler un coeur maternel ,dont la bouche s'empressait de démentir toutes les damnation sous des psalmodies appropriées pour éloigner le mal qu'elle venait d'invoquer dans un moment de colère .La seule chose que nous avions gagnée à Marrakech fut le contact avec des enfants d'un milieu tout à fait diffèrent,mais aussi le privilège de regarder la télévision ,de découvrir cette boîte à merveilles longtemps avant les autres.C’était l'époque où l'on vouait à cette merveilleuse boîte en bois verni et à l'écran d'un vert envoûtant,un culte quasi-paganique .Elle trônait toujours dans le salon ,au meilleur endroit ,couverte du meilleur tissu brodé qu'on trouve dans la maison .Le soir à 18h commençaient les émissions ,que nous suivions lorsque mon père le permettait ,la nuit ;mais il était toujours très tolérant avec nous quand il s'agissait des dessins animés comme Tarzan ,ou autres.A l'école ,et malgré le dépaysement et mon ignorance de l'arabe dialectal que parlaient sans exception tous les élèves,je réussissais à travailler assez bien pour passer au cours moyen deuxième année.

Un jour, je me souviens ,nous nous sommes perdus ,mon cousin et moi en nous promenant .Salas ,comme on le surnommait était mon aîné de deux ans ,nous étions tous très jeunes ,mais poussés par l'esprit d'aventure ,nous voulions pousser le plus loin possible les frontières de notre territoire connu ,voulant explorer les quartiers environnants nous nous sommes égarés et l'on s'est retrouvé à Riad zitoun ,loin de notre quartier ,. C’est là que nous avons été ,soi-disant agressés par une bande de trois morveux un peu plus âgés que nous ,qui avaient sans doute remarqué notre inquiétude et notre attitude désorientée,ils s'approchèrent menaçants et nous encerclèrent ,puis l'un d'eux se mit à nous fouiller les poches sous la menace des deux autres ,puis n'ayant rien trouvé il demanda à Salas de sautiller sur place pour vérifier au tintement des pièces s'i n' y avait pas de poche secrète ,et lorsque Salas sauta pour une fois le petit brigand des petits chemins entendit un tintement et crut que mon cousin avait de l'argent caché ,alors il se mit à le fouiller sous toutes les coutures ,avant de s'apercevoir après d'autres sauts que c'était la boucle des souliers en plastique blanc de salas qui produisait ce bruit singulier semblable à celui des pièces d'argent de l'époque en cuivre rouge ,l'apprenti voleur et sa bande nous relâchèrent sans d'autre procès en maudissant le ciel d'avoir mis sur leur chemin ces deux sahraouis désargentés .Nous continuâmes ainsi notre chemin ,à travers les ruelles sans savoir que nous nous éloignions petit à petit et que nous ne savions plus comment trouver le chemin du retour .Seul un homme qui avait douté de ce que nous endurions sans pouvoir nous exprimer ,nous tint par le bras et nous indiqua les différentes bifurcations à prendre pour retrouver la maison ,ce que nous suivîmes à la lettre et bientôt je reconnus l'épicier aux réglisses du coin ,nous étions sauvés .Une fois à la maison ,et comme nous sommes rentrés avant la nuit personne ne s'aperçut de rien et nous gardâmes à tout jamais ce mauvais souvenir de crainte de la ceinture paternelle qui n'allait épargner personne.

 

           Zdimouh

  

Avec ce froid de sept ou huit beries qui sévit actuellement les rues se vident très tôt ,seuls quelques commerces et cafés dont l'activité


nocturne est plus profitable relativement avec les moyens de transport qui traversent la ville demeurent encore ouverts .Les marocains se


déplacent souvent la nuit ,car ils se culpabilisent et ont souvent une infraction quelconque ,ou alors ils veulent profiter de la fraîcheur en Eté


dans les régions caniculaires.Zdimoh ,avait une prédilection pour le travail de nuit .Sa petite échoppe était avantageusement située au centre


du village ,de plus il avait deux portes ouvertes sur deux façades ,ce qui en faisait une boutique très fréquentée .De courte taille il avait à


peine la tête qui se laissait voir ,dépassant la hauteur du comptoir ,une tête ronde toujours couverte d'une "tahramt",ruban de couleur jaune


avec de superbes fils brodés ,qui malgré l'usure demeuraient luisants ,son visage brun exprimait à la fois la sévérité du commerçant et la


satisfaction de quelqu'un qui prenait la vie avec philosophie et ne se laissait pas trop mortifier par les soucis .Souvent habillé d'une jellaba


blanche de laine lorsque ce n'était pas carrément pendant les beaux jours d'un tablier de travail gris d'une marque de cigarettes renommée.Il


avait un bureau de tabac avec l'habituel présentoir en acajou vitré habilement découpé pour que seul un paquet en descende à la fois .Il avait


aussi quasiment un peu de tous les produits alimentaires ,sanitaires ,détergents ,huile ,sucre .A droite à côté du présentoir se trouvait un


vieux frigo qui ne tombait jamais en panne et où Zdimoh rangeait les différentes limonades pendant la saison chaude .sur les étagères il y


avait un peu de tout ,et même des produits oubliés là depuis longtemps .Il s'occupait essentiellement de vendre des cigarettes en paquets ou


au détail et répondait parfois négativement à une demande d'un client à propos d'un objet dont il savait qu'il mettrait longtemps à trouver au


fond de sa vétuste boutique .Zdimoh était connu au niveau régional au moins ,son esprit commercial en avait fait une référence de prévention


,voire de malice ,malgré qu'il avait pris de l'âge il avait toujours gardé un esprit très éveillé que trahissaient ses petits yeux marron qui se


cernaient de pattes d'oie quand il prenait le temps de sourire .D'un tempérament jovial ,il se détendait certains moments avec certains de ses


clients intimes avec qui il échangeait entre deux commandes quelque anecdote grivoise ou l'une de ces sentences laconique mais combien


expressive dont il est passé maître .Son échoppe était le premier repère auquel on pouvait penser pour se situer au milieu de ce petit village


qui a grandi depuis .Il ouvrait tard dans la matinée ,vers les 9:30 il sort de sa maison ,enfourche sa robuste bicyclette et pédale


nonchalamment vers son lieu de travail ,il restait à son poste jusqu'à 14 heures ,et retournait at home pour le déjeuner ,et une petite sieste


quand il le pouvait ,ensuite sortait vers 16:30 pour la séance du soir qui durait toujours jusqu'à deux heures du matin .

Zdimouh qui avait passé une jeunesse heureuse ,que Dieu lui en pardonne les méfaits et lui en décuple les bienfaits, ne se souciait plus que de


gagner honnêtement sa vie par le commerce .Malgré qu'il était croyant on ne pouvait pas dire qu'il était vraiment un dévot ,ni encore un de


ces hypocrites qui ferment leur commerce à chaque lahokbar pour se précipiter dans les premières rangées de la mosquée du village ,mais qui


trichent dans la pesée ,vendent trop cher en jurant par Allah et tous ses saints pour faire écouler leur marchandise .Lui ne sortait jamais pour


prier à la mosquée ,priait chez lui ou dans sa boutique quand il y était .De ce fait et après avoir prié ,comme il était devenu diabétique à la fin


de ces jours il avait envie de pisser plus souvent que les personnes saines ,pour cela il avait réservé un bidon de cinq litres dans lequel il faisait


ses besoins liquides dans un coin de sa boutique loin des regards .après un certain temps il se chargeait de vider le contenu du bidon dans le


jardin public situé de l'autre côté de la rue principale .C'était généralement très tard dans la nuit quand il voulait fermer sa boutique


.Cependant ,par une nuit froide il avait décidé de rentrer un peu avant l'heure habituelle ,alors il déposa le bidon d'urine devant sa boutique et


revint dans son échoppe pour éteindre la lumière et vérifier s'il n'avait rien oublié .A ce moment là un vieux monsieur fouinard ,connu par ses


petits larcins dans les souks passa près de la boutique de zdimouh ,il vit de loin le bidon posé devant la boutique ,et comme l'urine de zdimouh


avait une coloration jaunâtre caractéristique le vieux chapardeur crut avoir affaire à un bidon d'huile ,il passa donc furtivement devant la


boutique ,subtilisa subrepticement le bidon qu'il camoufla sous son vieux burnous blanc de laine épaisse et continua nonchalamment son


chemin comme si de rien n'était .Mal lui en prit ,car à ce moment même zdimouh qui avait passé la tête par la porte entrouverte vit que le


bidon-pissottière n'était plus à sa place où il l'avait posé ,il regarda à droite et à gauche et entrevit dans la rue qui était quasiment vide la


silhouette du voleur de pisse qui s'éloignait ,il reconnut vite son bonhomme,car il le connaissait bien de renom ,étant un vieux de la vieille qui


n'ignorait rien des secrets les plus intimes des villageois ,alors il l'apostropha avec sa voix d'habitude très posée ,mais qui avait pris cette nuit


là une énergie insoupçonnée accompagnée d'un rire railleur "wa Lhaj , achève ton bienfait et vide-moi ce bidon dans le jardin et rends-moi s'il


te plait le vide ,car il ne contient que de l'urine lah irhem lwalidine !!"

Le voleur d'huile ,pris en flagrant délit ,ayant entendu cette invective et ce ton railleur du vieux renard ne put qu'obtempérer et s'exécuta en


s'empressant de vider les cinq litres d'urine sur le rosier le plus proche dans le jardin public tout en maudissant son destin et sa kleptomanie


qui lui avait encore joué un sacré mauvais tour en lui dictant de voler ce sacré bidon d'urine .Il rendit le bidon,la queue entre les jambes et la


tête rentrée entre ses épaules dans un dernier sursaut de dignité à zdimouh qui fit semblant de ne pas le reconnaître ,rentra son bidon ,ferma


boutique ,enfourcha son vieux et solide vélo et regagna sa maison en riant durant toute la route du quartier de cette fièvre de gain maladive


qui caractérise certains habitants de son petit village natal .

  

(Suite )

Avant même que Zdimouh n'ait ouvert sa boutique ,il y avait toujours quelque fumeur "coupé",c'est à dire en manque qui le pressait de lui


vendre son paquet de cigarettes ou de tabac à priser ,car la vente de cigarettes était son activité commerciale la plus rentable .Lui même


ex-fumeur d'Olympique rouge , il s'ingéniait à retarder le bonhomme ,ouvrant lentement chaque porte pour pousser son client exprès au


paroxysme de la souffrance par un sadisme bon enfant ,avant de passer de l'autre côté où le comptoir était moins surélevé ,de passer par


dessus et se retrouver dans son éternelle échoppe légèrement rabaissée par rapport au trottoir ,ce qui la rapprochait plus de ces fours


traditionnels munis d'une fosse où se tassait l'enfourneur de pain .Seulement zdimouh ,lui, surveillait constamment les allées et venues des


gens et leurs figures qui étaient autant de pains cuits dans sa logique de commerçant .Il lisait dans les pensées de chacun ce qu'il désirait avant


même qu'il ne le demandât .Il avait aussi un humour qui désarçonnait les plus blasés et prenait bien du plaisir à jouer de petits tours


innocents à certains de ses clients les plus étourdis et les plus crédules.Ainsi lui arrivait-il de diriger quelqu'un qui lui commandait un produit


qu'il ne vendait pas vers un autre boutiquier, tout en sachant très bien qu'il n'en disposait pas non plus .

Un jour alors qu'il était en train de ranger des paquets de cigarettes dans son présentoir une femme d'un certain âge grosse comme un boudin


et le teint basané ,qui venait de descendre d'un autocar en stationnement devant sa boutique ,se dirigea vers sa boutique et lui demanda s'il


vendait du rouge à lèvres.Le malicieux Zdimouh vit là l'occasion de rire un brin et lui répondit qu'il n'en vendait pas mais qu'elle pouvait s'en


acheter chez le sieur "Obou3am ,qui se trouvait deux rues plus loin .La bonne femme ,qui avait confiance en ce vieux sexagénaires aux


cheveux blancs ,ne douta pas un instant qu'il pouvait lui préparer quelque tour de derrière les fagots ,alors elle pressa le pas après s' être


enquérie de la direction à prendre pour dénicher la boutique de ce fameux Obou3am pour renouveler sa cargaison de cosmétiques ,mais une


fois arrivée après avoir demandé son chemin trois fois de suite ,quelle ne fut sa stupeur ,son emportement ,voire sa rage quand elle découvrit


que Zdimouh l'avait en réalité envoyée chez un marchand de charbon !La bonne femme ne sut un instant à quelle saint se vouer ,elle vociféra


un plein chapelet d'insultes dans toutes les langues qu'elle connaissait contre ce vieux renard de zdimouh qui l'avait ainsi humiliée et revint


sur ses pas ,mais elle n'était pas apparemment au bout de sa surprise car lorsqu'elle arriva sur le boulevard elle constata avec ahurissement


que le car qui l'avait transportée était parti après avoir klaxonné vainement .Elle se dirigea vers le coupable qui feignit de ne rien avoir


remarqué et passa vers le comptoir de la porte voisine ,mine de rien .Heureusement que le car en question devait s'arrêter encore une fois


devant la poste sise à une centaine de mètres pour charger le courrier et l'un des hommes qui avaient vu toute la scène et qui en avaient ri à


se tordre, courut rapidement et signala au conducteur que la femme qui manquait à l'appel était réapparue ,alors elle se traina en soufflant


comme une locomotive vers le véhicule tout en marmonnant encore des injures contre le vieux zdimouh ,qui fit la sourde oreille et continuait à


rire sous cape ,dissimulé facilement par son fameux comptoir. Après cette aventure il jura de ne plus s'en prendre aux femmes ,mais continua


malgré tout à envoyer à Oubou3am ,le marchand de charbon ,tout client étourdi qui lui commandait des produits qu'il ne vendait pas .C'était


le temps de la joie malgré le besoin et le peu d'aisance des villageois et zdimouh trouvait innocent de se payer de temps à autre la tête de


certains clients ,histoire de briser la routine dans un petit village du Sud-Est marocain où les occasions de se défouler étaient aussi rares que la


pluie .

                                     Taqnafout

Taknafout avait bien quelque chose de particulier .Depuis son enfance ,que nous partagions tous en tant que ses voisins et amis ,il avait un


penchant très marqué pour tout ce qui roule sur des roues .Il avait le don de fabriquer ces petites "voitures" et ces "camions " en miniatures


,confectionnées avec des boîtes de sardines ou des bidons d'huile offerts "gracieusement " par le peuple américain ,comme c'était écrit dans un


arabe douteux sur les emballages .Plus tard nous allions comprendre que cette aide américaine n'avait rien de gratuit et n'était en rien pour


les beaux yeux des marocains ,mais c'était l'enfance et l'on ne se souciait encore guerre de la politique ,si heureux que nous étions de manger


les délicieux tagines de nos mères respectives et respectables et de nous servir en sus de ces solides bidons qu'on découpait difficilement au


couteau pour fabriquer ces petits véhicules qui faisaient notre joie et notre fierté quotidienne .Nous ne savions pas encore que Bleck le Rock


,Tex Willer et "le petit ranger" de ces bandes dessinées que nous allions aimer dans notre jeunesse étaient en fait l'oeuvre d'une pensée


impérialiste qui allait réduire bien des pays à la misère et les renvoyer à l'âge de la pierre taillée sous des bombes à déflagration et des armes


chimiques que nous participions inconsciemment à financer en achetant cette littérature américaine si fallacieuse qui nous trompait avec ses


histoires de bravoure où c'étaient toujours les cow-boys qui avaient le dernier mot et les peaux-rouges qui payaient toujours de leur sang


,dans leurs "wigwams" déchiquetés ,leurs "papooses" et leurs "skaws " massacrés sauvagement par ces visages pâles à la langue fourchue


comme des serpents à sonnette .En ce temps là ,rien de tout ça ne faisait partie de nos soucis ,ignorant que d'autres peuples allaient suivre


dans la liste des victimes des génocides des yankees !Taknafout s'ingéniait enfant à tordre le fil de fer pour en façonner des roues aussi


circulaires que si elles sortait d'une usine Toyota ,il les enveloppait ensuite de vieux torchons en guise de pneus ,leur adjoignait un volant à la


longueur de sa taille déjà considérable malgré son jeune âge .Une fois grandi ,il avait gardé toujours cette passion pour les roues et profitait


souvent du fait que zdimouh son père dormait pour lui voler les clés de sa vieille Peugeot 404 aux coussins de cuir jaune,alors qu'il avait de la


peine à voir la route devant lui et était obligé d'ajouter toujours un vieil oreiller pour cela . Il nous emmenait ,nous ses amis ,les enfants de la


rue, dans des promenades nocturnes qui risquaient à chaque fois de se terminer dans la rivière ou dans quelque champ bordant la piste à


peine carrossable à cette époque et qui n'a pas beaucoup changé depuis malgré la mince couche d'asphalte dont on l'avait enduite un jour pour


tromper les pauvres villageois et leur faire croire qu'ils vivaient aussi dans une ville puisqu'ils roulaient sur une route goudronnée .

Taknafout nous raconta qu'un jour quand il était encore plus jeune,il avait veillé avec nous dans le ksar,il a décidé d'enlever ses claquettes et


de rentrer à la maison sur la plante des pieds pour ne pas réveller son brave paternel ,il alla dormir dans le jardin comme à son habitude en


ces caniculaires journées d’Été.Comme il faisait très chaud il dormit quasiment nu ,couvert seulement de sa 3baya grise sur un petit matelas


d'éponge et ne tarda pas à plonger dans un lourd sommeil accentué par l'effet de la fatigue .Vers le milieu de la nuit le chat des voisins ,qui


n'avait pas mangé deux jours durant,après avoir vainement fouiné dans le jardin à la recherche d'une souris insomniaque qui aurait eu


l'étourderie de sortir,s'approcha de Taknafoute et continua de renifler quelque occasion de tromper son estomac de carnivore affamé


,n'obéissant qu'à son instinct; il s'attarda un moment à côté du jeune enfant qui ne s'était douté de rien et continua sa quête car il avait senti


une odeur de viande .Le petit félidé devint plus entreprenant ,tenaillé par la faim et l'envie de profiter enfin d'un dîner quelconque qui lui


aurait permis de demeurer encore en vie ,il s'approcha encore et en un formidable saut prodigieux sauta sur le petit morceau de viande et le


tint entre ses griffes prêt à y mordre à pleines dents ,croyant avoir trouvé un morceau de bifteck jeté là par quelque dîneur rassasié .Mais


quel ne fut le désappointement du petit chat quand Taknafout se réveilla en sursaut de son sommeil hypnotique de plomb lorsqu'il sentit les


griffes du chaton inexpérimenté qui lui lacéraient sa petite verge d'enfant dûment circoncis dans la tradition musulmane .Il ne savait pas


exactement ce qui lui arrivait et se mit à crier de toutes ses forces dans sa langue amazigh maternelle " awa sab hat tino ,awa sab hat tino!!!"


(vas t'en c'est la mienne ,vas t'en c'est la mienne !!!) et le pauvre chat qui ne comprenait rien au droit de propriété ne put que courir,sans


demander son reste , de toute la force de ses pattes qui le sauvèrent in-extremis du lourd "taymoum" (pierre ronde pour les ablutions des


paresseux ) que lui avait lancé Taknafout ,de toutes ses forces ,et qui aurait pu l'envoyer ad-patres dans le Paradis des chats !

                                          Arbeiten !

Le père d'arbayten ,un géant qui ressemblait plus à un gitan qu'à un amazigh du sud-est avait un vieux camion Renault ,qui devait à l'époque


dater des années 40,un solide fourgon avec lequel il traversait quasi quotidiennement la piste d'Amsed ,transportant des voyageurs ,souvent


avec une brebis ou même un veau ou une génisse .L'intérieur en était tapissé souvent de bouse de vache ou de crottin avec cette odeur


alcaline d'urines de toutes sortes ,et pourtant les gens montaient aussi ,sans insouciance et sans rechignement ,tellement ils étaient content de


trouver un moyen de locomotion dans une région où il n' y avait pas longtemps encore les ânes et les mulets étaient le seul moyen de


déplacement ,même à longues distances .Arbayten profitait parfois de l'absence de son père ,parti à Imteghern pour ses affaires et il lui volait


les clés du camion .C'était l'occasion pour la bande des enfants de la rue pour s'en servir avec joie ,et parfois même pour faire payer des


touristes très cher un circuit qu'on leur faisait faire du côté de Tadighoust ou Taltefrawt où les barrages de la gendarmerie étaient à l'époque


très rares ,avant que cette route ne soit devenue le passage idoine pour des 4x4 des dealers de kif.Par les nuits d'été ,la bande se tassait dans


le fourgon avec une dizaine de touristes enthousiasmés à l'idée d'aller voir un mariage à Taltefrawt ,dont ils avaient des difficultés


inimaginables de prononcer le nom .C'est que nous choisissions ce genre de clientèle de l'hôtel les palmiers avec beaucoup de soin ;c'étaient


souvent des groupes d'étudiants Anglais ,Autrichiens ou Allemands ,attirés par le pittoresque et les aventures de jeunes marocains qui ne


reculaient devant rien .Salas ,le fils du patron servait souvent d'interprète avec quelques mots d'anglais ou d'espagnol qu'il avait appris à force


de côtoyer les touristes et cela suffisait amplement ,accompagné de quelques gestes suggestifs de sa part pour communiquer des idées ,pour


lesquelles d'ailleurs il n'était nullement besoin de langage articulé ,tellement la passion et le désir en étaient partagés de part et d'autre.


                                                            La peau de l'éthique !

Bien avant qu'il n'ait été enfin admis parmi les conseillers municipaux ,et du temps même de ses ruades dans les brancards ,à force de


déclarations sulfureuses et d'invectives sur le web au vitriol ,de même que des lettres qui n'étaient jamais plus que virtuelles aux


responsables les plus huppés ,bien avant tout cela donc ,ce "militant" élevé dans l'hypocrisie ,dans la délation et la prévarication sous toutes


ses formes ,avait tendance à délaisser son travail d'enseignant et à lui préférer les chaises confortables des cafés .Alors ,maintenant qu'il a


enfin le privilège de siéger,même avec un rôle sans grande importance ,autre que ce qu'il peut en tirer pour son silence ,il a tendance à ne plus


espacer ses absences sur son lieu de travail et à ne plus même attendre la récréation pour s'éclipser ,puisqu'il peut se targuer maintenant


d'être un "représentant du peuple" qui a de grandes" responsabilités " pour justifier lesdites absences .Normal que notre quidam ait tendance


à avoir la grosse tête puisque tout le prédestinait,dans la dégradation totale de l'environnement sociopolitique , à devenir ce qu'il est devenu et


à ne plus accorder aucune importance aux injonctions du directeur qui est juridiquement son supérieur hiérarchique immédiat .Mais que peut


un directeur ,eut-il la meilleur volonté du monde ,devant tant d'arrogance ,devant tant d'hypocrisie ,de vanité ,de mouchardise et de


suffisance béate ,étalée le long du boulevard unique d'une misérable ville du sud-est ,dont il se prend pour le défenseur ,voire le héros


incontesté ,avocat de la veuve et de l'orphelin ;surtout qu'il laisse supposer qu'il est devenu intouchable ,de par la notoriété acquise par


d'autres membres de sa famille ,dans un pays où les postes de responsabilité sont accordés selon le degré de flexion de la tête devant


l'omnipotence d'un pouvoir qui gratifie de largesse les lèche-bottes (pour ne pas dire autre chose ) selon une progression géométrique


conséquemment à la droiture de l'angle formé par leur dos et leur échine lors des génuflexions sacerdotales à l'occasion des cérémonies


officielles .


          L'école mon amour !

Lorsqu'on dit que l'école ne produit plus que des ignorants ,on ne risque de se tromper qu'à de rares exception près .Il faut avoir exercé dans


l'enseignement pendant une période assez longue pour avoir le recul nécessaire ,et de facto le droit ,de porter un jugement qualitatif pareil.

En effet ,je n'ai jamais admis ,ni toléré qu'une personne n'ayant pas de relation avec ce métier très dur,puisse parler de baisse du niveau


scolaire ,sans avoir été en contact direct avec ce domaine pendant un certain temps.c'est alors que le constat est susceptible d'être pris en


considération.

Les défaillances de l'enseignement semblent avoir été soigneusement préméditées et provoquées intentionnellement afin de servir des


desseins machiavéliques des politiciens qui ne gagnent leur pain blanc que dans le noir de l'ignorance et de l'obscurantisme ,raison pour


laquelle l'élan des premières années de l'indépendance ,au Maroc par exemple ,a été stoppé ,pour empêcher ce peuple de prendre conscience


de beaucoup de réalités concernant le fonctionnement de l'Etat ,de ses différents rouages et de ses mécanismes ,et surtout pour freiner toute


prise de conscience de ses droits qu'on met paradoxalement beaucoup de zèle à lui inculquer .Cependant même ces droits de l'Homme qu'on


met toujours en avant ne semblent pas être enseignés pour s'en servir et les réclamer ,mais surtout pour donner une apparence de limpidité


dans la gestion des affaires publiques .C'est la raison pour laquelle par exemple tout le monde vous cassera la tête à chaque fois que vous


enfreignez la loi ,avec la formule consacrée "personne n'est censé ignorer la loi " ;alors qu'en réalité personne ne s'est jamais donné la peine de


vous enseigner,ni de vous faire comprendre ces lois que vous n'êtes pas censé ignorer !Bien sûr on ne demande pas à l'école de faire de nos


élèves des juristes chevronnés,dés le primaire ni même le secondaire ,mais il y a des rudiments de règlements qu'il faut incruster patiemment


dans la tête de chaque citoyen pour le protéger d'abord ,puis pour l'empêcher de passer outre et de se retrouver hors la loi .L'éducation civique est enseignée au Maroc ,tout comme l'éducation islamique et la morale ,d'une manière si ennuyeuse et déconnectée de la réalité que ces "leçons" en font des cours inertes ,fades et sans goût qui laisseront très rarement leur empreinte dans les cerveaux des enfants ;toutcomme les campagnes de sensibilisation aux dangers de la circulation ,après les séances desquelles vous constaterez ,en suivant les élèves qui viennent d'en sortir ,qu'ils continuent à marcher sur la route et délaissent les trottoirs après un cours théorique bâclé qui ne leur a pas servi à grand chose .


  En entrant ce matin par le portail du lycée, aprés une semaine de vacances , je fus surpris par le paysage qui s'offrait à moi : Les murs extérieurs ont été fraîchement blanchis,ma salle de classe n'est plus reconnaissable de propreté.Non seulement les murs ont été repeints , mais de plus toutes les tables sont neuves et un bureau clean avec une chaise rembourrée ,qui remplaçait l'ancienne brinqueballante et peu sûre, avec son pied-bot qui tirait toujours d'un côté.

Cela nous changera complètement des murs tâchés de tags et de graffitis de toutes sortes et mêmes des plus obscènes, par lesquels certains élèves annonçaient leur nouveau flirt, ou se vengeaient d'une fille moins facile en écrivant son nom accompagné de vocables obscènes humiliants.En commençant mon cours de la journée je constatai également que tous les élèves sans exception étaient présents et écoutaient attentivement ma leçon sur la dérivation lexicale à base nominale.Je jetai un oeil par la fenêtre repeinte aussi et recarrelée à neuf ,dehors on n'entendait aucun bruit sauf le gazouillis des oiseaux dans les eucalyptus de la cour soigneusement élagués.Pas un élève dehors ni derrière les tamaris ,ceux qui n'avaient pas de cours étaient rassemblés ,me dit un élève,  dans une salle de permanence où quatre professeurs de différentes matières les aidaient à résoudre leurs exercices et leurs devoirs.Le proviseur n'était point visible ,mais on sentait sa présence partout car tout le monde veillait à accomplir son travail avec un entrain exemplaire sans nul besoin d'y être poussé ,ne sommes nous pas la meilleure des nations révélée aux hommes?

      A neuf-heures moins cinq la sonnerie retentit et mes élèves sortirent respectueusement en se pressant toutefois pour rejoindre sans perdre une minute le professeur suivant dans l'autre bloc.Je sortis pendant ces cinq minutes et remarquai que toute la cour a été transformée de fond en comble,ci et là des chaises ont été installées sous les arbres pour les élèves qui n'étaient plus autorisés à sortir dans la rue pendant les récréations,un tableau d'affichage annonçait les différentes activités prévues pour le mois de Mai.Parmi ces activités des représentations d'"Antigone" de Jean Anouilh,des conférences données par des enseignants universitaires dans différentes disciplines dans le cadre de la formation continue,tête de proue de la très réussie charte décanale de l'enseignement ,qui, en dix-ans à peine a réduit de moitié le nombre de nos analphabètes.D'autres intervenants proposaient des sujets juridiques pour accompagner les enseignants et les fournir en conseils de toutes sortes et les assister dans les disciplines réfèrant à ce domaine.Il y avait même des annonces de conférences qui me laissèrent sans voix ,comme si j'étais dans un rêve fantastique,telle cette intervention de Philippe Meirieu himself sur " la pédagogie différenciée et ses applications dans les milieux défavorisés",ou encore une projection d'extraits de la filmographie de J.Y.Cousteau et tant d'autres.

      J'étais aux anges ! Tout ce que disait "Le matin du Sahara" est donc vrai ,nous sommes en plein progrès ,notre enseignement se porte à merveille! .L'arabisation galopante a eu finalement beaucoup d'avantages pour nos élèves,les séances de traduction les avaient bien motivés ,ils sont devenus plus instruits dans toutes les langues enseignées .Les élèves peuvent affronter ,grâce à la judicieuse politique de nos responsables éclairés,toutes les branches que leur permettra leur orientation et ce en pleine confiance ,munis d'un solide bagage scientifique et linguistique à toute épreuve(c'est le cas de le dire!).Je me promis de revenir noter les dates plus tard car les cinq minutes d'inter-cours se sont écoulées .En revenant je jetai un regard furtif du coté des terrains de sport ,"mon Dieu !! un vrai terrain bien équipé avec de vrais vestiaires!" j'avais hâte de terminer la leçon pour aller voir de plus prés cette merveille."Où étai-je donc pour ne pas avoir entendu parler ,il est vrai que je sortais rarement,convaincu que j'étais que rien n'allait jamais changer .Quelle erreur! me dis-je ,fort  honteusement".

       A la deuxième séance je reçus une autre classe aussi disciplinée et motivée que la première.La séance de lecture se passa bien les élèves lisaient sans balbutiement ni saccades le texte de Khair Eddine sans rire des termes berbères utilisés dans ce récit,tels que "amzil" ou " timzguida n'tgadirt  et  sans prononcer "souve" pour dire "souvent" ni  "marchant"pour lire "marchent" etc... Lorsque je leur posai les questions de compréhension presque tous les doigts se levèrent avec insistance pour répondre aux dites questions et lorsque je demandai d'écrire les mots incompris et de les expliquer à l'aide des dictionnaires fournis par la bibliothèque même du lycée ce fut une véritable ruche car tous les élèves participaient spontanément à la séance.

     A dix heures Je sortis pour rejoindre la buvette et là encore je restai éberlué devant le changement opéré .Une nouvelle salle accueillante avec de vrais éponges , pas les anciennes amincies par l'usage des derrières osseux des anémiques de jadis ,un percolateur de café et des confiseries de toutes sortes pour les collations en plus du thé conventionnel,un service impeccable .Curieusement il régnait dans la nouvelle salle une ambiance bon enfant de personnes bien cultivées où des groupes formés par affinités discutaient de leurs problèmes de classe et des différentes manières d'aborder certains sujets ,ils profitaient de cette pause-café pour échanger des points de vue didactiques ou d'ordre professionnel sans qu'aucun syndicaliste ne se mette à faire sa propagande.Manifestement il n'y avait plus de problèmes à discuter ni de dossier de revendications à défendre car,comme me l'apprit l'un de mes collègues étonné de mon étonnement, on avait résolu tous les problèmes en suspens ,tous les licenciés ont été réintégrés dans leur fonction d'origine avec dédommagement des années de chômage et des frais judiciaires .et ce n'était pas encore la meilleure des nouvelles comme j'allais l'apprendre illico ."Hier ,me raconta un autre collègue ,le ministre des finances a pris la parole de façon impromptue mais décontractée des hommes sûrs de leur succés et malgré tout restés modestes .Il a annoncé une hausse des salaires de 50% avec effet rétrospectif à partir de Janvier 2009 et les syndicats qui n'ont plus de raison d'exister se sont auto-dissous unanimement dans un communiqué commun diffusé deux heures aprés le discours du ministre"Je ne regarde jamais la télé répondis-je, et encore moins les chaînes nationales !" c'est alors que je regrettai d'avoir toujours été sceptique vis-à-vis de notre lucarne nationale dont nous avons désormais des raisons d'être fiers .

     Les bonnes volontés du cher parti indépendantiste qui a été reconduit dans ses fonctions à la primature après les dernières élections de juin ,en application des principes démocratiques ,a continué ses chantiers de reconstruction d'un Maroc nouveau,comme l'a annoncé notre "pravda" nationale l'agence maghrébine et arabe de presse .Décidément ces Arabes sont trés ingénieux,ils réussissent tout ce qu'ils entreprennent. Toutes les volontés se sont unies, pour remettre la motrice de notre enseignement sur la bonne voie et on peut dire qu'ils ont frappé un bon coup cette fois-ci !La preuve était devant (ou derrière) mes paupières décilées par l'allergie à la craie blanche,mais j'allais maintenant pouvoir enfin faire valoir mes droits au remboursement intégral des soins contre l'allergie à l'auréomycine que je me plaquais par défaut dans l'oeil pour soigner l'intolérance à la craie blanche ;avec laquelle je traçais des signes de moins en moins visibles pour moi sur le tableau noir de mes cauchemars diurnes!!

     J'en étais là de mes joyeuses observations lorsque soudain j'entendis une voix féminine qui m'appelait...je me retournai du coté d'où venait la voix et j'entrevis entre mes paupières mi-closes le visage de ma femme qui m'appelait... "aziz...lève-toi Il est 7.00h" C'était  l'heure de me lever pour aller au lycée ...! Ah que ferait-on si nos rêves étaient cryptés et qu'on ne pouvait les décrypter qu'avec des cartes magnétiques prépayées vendues exclusivent dans le bureau central du parti jacobin qui nous colle aux fesses !!


    Haddou le magnifique


La marmite est en train de bouillir, le cuisinier a rajouté quelques aromates et un peu de sel, a touillé vigoureusement et laissera encore mijoter pendant quatre heures. Ce n'est pas facile de préparer un festin pour trente personnes plus les serviteurs et les membres de la grande famille et les gardes du sot, ce cousin exilé dans une cabane du jardin, qui ne voulait voir personne, mais qui tenait mordicus à se faire servir dans la vaisselle d'argent. Ça va chercher dans les trente six à trente huit ; voire quarante personnes, avec les enfants. Ces enfants turbulents justement qui ne se sont pas limités à jouer dans le P.C du petit de la maison, mais voilà qu'ils se sont emparés de son face-book et se sont amusés à foutre la pagaille avec ses amis .Heureusement qu'il n'est pas là. Ils ont même eu l'audace de venir foutre leurs petits nez dans la marmite pour voir ce qui mijotait sur le four, décidément il n'y a plus qu'à rendre le tablier et quitter ce rôle éreintant de cuistot. De toutes façon, se dit-il un moment après, il est cuisinier et il le reste, c'est sa mission de faire manger son monde et il s'y connaît. Il se passa le revers de la main sur son front en sueur, jeta un coup d'œil furtif sur la lourde gamelle en sept métaux qui bouillonnait sur la fournaise.


-Elle vient cette sauce Lalla îma, je dois la mettre maintenant, sinon le pot-au feu n'aura pas le gout que je lui souhaite .dépêche-toi, je ne voudrais pas qu'on me prenne pour Zina, notre voisine de droite, la dernière fois tout le quartier sentait le brûlé, on dit que les invités de sa tribu en plus des étrangers, ont quitté sa maison en détresse après les premières odeurs de gaz.


-Oui, j'arrive haddou, c'est cette moutarde qui me monte au nez qui m'empêche de voir, j'en ai les larmes aux yeux, voilà j'arrive !


Merci îma, sans toi je ne sais pas ce que j'aurais fait. Tu t'imagines, alors que ma femme est allée rendre visite à une cousine à Fès, voilà que ces convives débarquent chez-moi à six heures tapantes du matin, un dimanche, j'ai dû appeler ta fille en urgence, pour qu'elle m'aide, heureusement que j'étais cuisinier dans l'armée, et je me débrouille assez bien.


-Tu te débrouilles pas mal .tafsout n'aurait pas fait mieux, je connais ma fille, elle est dépassée par le nombre, dés que le tagine dépasse cinq personnes, elle perd le sens de la mesure .C'est tout à fait comme Yamna du bureau-arabe, elle a tellement pimenté l'un de ses dîners qu'un grand nombre de sa tribu, conviés à un festin carabiné, sont encore à l'hôpital, dans des convulsions atroces.


Haddou n'aimait pas beaucoup les critiques que lui adressait îma, celle-ci sous les apparences joviales et désintéressées avait un goût du faste dont il se demandait si c'était la maigre retraite de son époux qui payait les frais, ou bien elle puisait dans sa propre caisse, à son insu. Elle avait même poussé l'outrecuidance jusqu'à harceler la jeune ta3tmant, devant sa propre maison, cette dernière dans la force de l'âge, malgré ses fausses dents aurait pu faire qu'une bouchée de îma, mais elle réservait ses forces pour d'autres occasions plus pénibles.

 Dans ce gros ksar collé sur le flanc de la montagne, personne n'était vraiment riche une fois pour toutes .Il arrivait qu'untel, qu'on croyait sorti de la misère y revenait quelques années plus tard, plus pauvre que Job, alors que deux mois auparavant il était aussi riche que Crésus. La fortune va au gré de la chance, car elle n'est bâti que sur des aléas variables .Haddou, lui ,a une immense fortune héritée de son père Hssaïn, qui avait su mettre de côté bien des bracelets, convertibles en lingots en temps voulu,son métier de bijoutier renommé lui avait permis de faire fortune ,pas toujours de manière légale mais toujours insoupçonnable . Haddou avait bien cette maison qu'il avait héritée aussi ,comme tout le reste d'ailleurs .Mais malgré l'étendue de ses biens ,et comme son défunt père le lui avait conseillé sur son lit de mort, il devait faire sa cuisine tout seul . Il n'avait vraiment confiance qu'en sa femme Tafsout, qui était la seule femme à posséder le privilège de préparer ses repas, et en son absence, il devait mettre lui-même son tablier blanc et mettre sa main à la patte. Sa belle mère le secondait, mais elle lui coûtait trop chère et les membres de la tribu commençaient à se demander le rôle de cette femme dans les affaires de la tribu dont il était l'amghar depuis déjà une décennie.

 Il est huit heures trente maintenant sur la petite horloge de la cuisine ,une montre primesautière qui indiquait l'heure que la maison voulait qu'il soit ,c'est pourquoi parfois sa trotteuse galope au simple regard du maître de maison ,alors qu'en d'autres occasions ,quand il faisait sa sieste par exemple ,elle se permettait un petit somme ,mais devait cependant se lever avant lui pour lui indiquer l'heure qu'il voulait . Un bibelot magique qu'avait offert à son père un médecin du Ksar qui a étudié en Chine, a exercé à Tizi n'Imnayen pour quelques années avant de se perdre dans la nature. Bien sûr malgré ses petits caprices l'horloge était rigoureusement exacte, mais sur un fuseau horaire étranger, si bien que tout le monde dans la maison vivait selon ce fuseau horaire, s'habillait, dormait, forniquait, selon un rythme de vie d'ailleurs .La mode dans le village est de s'habiller étranger. Où sont donc ces beaux vêtement d'une blancheur écarlate qui donnaient toute liberté au corps, où sont ces somptueux turbans au jaune ensorceleur qui vous emportait dans des pays lointains, jamais visités et pourtant rêvés ; ces tibizarines aux couleurs chatoyantes qui éveillent par la magie des couleurs subliminales les désirs les plus ardents. Rien de tout cela n'a résisté à la laideur qui étendait son voile noir sur tout ce qui vit dans le ksar. Il le savait lui, en premier lieu, lui l'amghar du village, il le savait par le regard sournois des gens assis dans Tansriyt, le hall du Ksar, ils évitaient son regard, et se mettaient à chuchoter à son passage, mais lui savait ce qu'ils pensaient, et même ce qu'ils avaient mangé avant de sortit se morfondre dans la demi pénombre derrière le grand portail séculaire en tronc de palmier, en attendant la prière du coucher.

 Des coups violent frappés contre la porte du jardin avaient rappelé Haddou à sa cuisine, il donna un ordre sec et un serviteur noir s'éclipsa de sa chaise où il aidait à éplucher .Un grain de tomate était sur son nez camus, mais il ne s'en rendait pas compte .Il atteignit la porte, pourtant située à une vingtaine de mètres, avant que sa maîtresse n'eut le temps de lever la lourde main en bronze qui faisait office de heurtoir. Il ouvrit et s'effaça pour laisser le passage à une mince femme rousse, habillée à la dernière mode de chez Darcin. Il n'eut pas le temps de souffler le petit nègre que déjà elle le chargeait de sa lourde valise, qui avait pourtant des roulettes, mais elle lui interdisait de la traîner, de peur de les abîmer. Le petit nègre suivait sa maîtresse qui allongeait majestueusement le pas pour répondre le plus vite possible à l'appel de son mari dans sa cuisine .Elle s'engouffra par la porte de service ,laissant loin derrière elle le petit serviteur ahaner sous le fardeau de la valise .Dieu sait pourtant qu'il est costaud malgré son jeune âge ,mais cette fois il ployait vraiment sous le poids .Il en avait pourtant porté des valises ,mais de la lourdeur de celle-ci, jamais . Peut-être était-ce aussi cette maladie dont il se savait atteint et qui lui blanchissait les joues, chose dont il s'était aperçu un matin furtivement devant la glace du salon .Lorsqu'il arriva enfin à la porte de la cuisine, son maître Haddou avait sa mine des beaux-jours, il sifflotait maintenant que Tafsout pouvait le remplacer pour un moment derrière l'évier. L'essentiel étant préparé ,il ne lui restait à elle qu'à veiller à ce que elle ne brûle pas ,le temps que son amghar de mari fasse une tournée dans les champs pour sévir contre les voleurs de dattes qui profitent toujours de l'affairement des gens et ses nombreuses occupations, à lui, pour secouer les spathes des palmiers  et   faire pleuvoir les succulentes dattes précoces ,qu'ils n'ont ni arrosées ,ni inséminées . C'était ça aussi son métier, veiller à éloigner les fauteurs de trouble et les voleurs, mais comme la plupart des terres lui appartenaient à lui ou à la famille de Tafsout, tout le monde savait qu'il ne faisait dans la majorité des cas que garder ses propres biens. Îma, sa belle mère s'était attribuée le reste, les pauvres n'avaient qu'à travailler pour eux s'ils voulaient vivre dignement, comme le lui rappelait îma, goguenarde, derrière ses lunettes solaires en dépit du mauvais temps ; les autres, ajoutait-elle dans un sifflement vipérin, les têtes dures on les casse à la longue. Il y avait bien quelques teigneux comme haddou les appelait, qui étaient sortis du ksar et s'étaient construits des maisons assez modestes plus au sud de la vallée, mais il n'en avait cure et savait bien qu'un jour ou l'autre ils reviendraient lui baiser la main pour qu'il accepte de les entretenir.

Il passa ainsi environ une heure à vagabonder entre les palmiers et les oliviers ,tantôt il se penchait au dessus des jardins ceints de murs de protection plus ou moins hauts ,pour épier les voleurs qui n'hésitaient pas à voler le fruit du travail des autres sans vergogne .Il retourna à la maison ,satisfait ,referma derrière lui la porte de son propre jardin afin de n'être pas lui-même victime de ces larcins . Il trouva Tafsout en train de préparer la salle à manger, secondée par Îma et deux petites bonnes .Il entra ensuite dans la cuisine, appela son bras droit et lui ordonna d'un ton sec de renforcer la garde à l'entrée du ksar car les rumeurs de troubles entre les tribus de l'est grondait et il ne voulait nullement voir son ksar subir les mêmes conséquences ...

                                            Le café du coin
Dans le petit café, sur le boulevard unique de la ville , une dizaine de personnes se sont retrouvées à écouter le discours royal du 09/03/2011, considéré d'une importance primordiale au vu des révolutions qui ont renversé des mammouths jugés jusque là inextinguibles. Tout le monde écoutait attentivement ce qui allait être dit, et même ceux qui ne comprennent pas la langue arabe classique dans laquelle se fait le discours (se fera-t-il un jour en Tamazight constitutionalisée ?), cassent l'oreille, comme on dit en Tamazight pour ne rien perdre de ces paroles qu'ils jugent cruciales pour leur quotidien enflammé. Les intellectuels, ou ceux qui en tiennent lieu aujourd'hui, mais qui ont l'avantage de comprendre au moins la signification des mots, suivent sans accrocs le discours avec des haussements de tête approbateurs, surtout lorsque le monarque parla de la justice indépendante, et du renforcement des prérogatives du premier ministre. Un quinquagénaire à lunettes ne regardait pas l'écran directement, il était occupé à consigner des notes dans son carnet et se limitait à écouter seulement, peut-être pour mieux se concentrer. Un marchand ambulant ,qui avait vu la théière ,lança un tonitruant " salamo 3alaykoum" ,auquel personne ne répondit, étant tous ,ou feignant d'être complètement absorbés par le royal discours ,et surtout pour montrer leur antipathie devant ce gêneur qui ne faisait que chasser les occasions de boire gratuitement un verre de thé . Voilà, se dit le quinqua à lunettes, voilà le véritable miséromètre du Maroc : des gens sont acculés à imiter l'avion renifleur pour détecter l'odeur du thé au milieu de celle des crottes d'ânes éparpillées sur l'asphalte, et faire preuve de mesquinerie pour en bénéficier de quelques gorgées. Il ne put continuer sa réflexion car un mot venait d'éclater dans son oreille avec un tintement particulier, le mot "amazighia" associée, peut-être pour la première fois au mot "doustour" sans qu'il s'agisse d'une manifestation du M.C.A . Ainsi se dit-il en une fraction de seconde, voilà que l'une des revendications qui lui sont si chères vient d'être entamée. Il pensa sans pouvoir se débarrasser de leurs images, à toutes ces victimes tombées sur le parcours épineux de cette revendication, il pensa tout particulièrement à H.Ouaddoch et Mustapha Ossaya ,qui croupissent encore dans la geôle ,victimes d'un makhzen amazighophobe .A leurs mères respectives qui ne pourront pas s'empêcher de faire le même rapprochement que lui .Il faut que justice soit faite ,et cette décision de réformer la justice apportera ,il l'espérait tant la révision de cette injustice .

Le jeune patron du café minuscule, peu intéressé par le discours et qui ne cherchait qu'à faire fructifier son petit commerce, dont il faisait vivre sa famille de cinq personnes, se remit après les premières phrases à laver ses verres dans l'évier, tout en gardant son oreille de licencié chômeur aux aguets, au grand dam des clients, dérangés par le chuintement de l'eau. Le cafetier dut interrompre sa besogne pour ne pas perdre ses clients de passage pour la plupart, et qui devaient bien sûr prendre une consommation le temps de ce discours que lui, souhaitait s'allonger le plus possible en prévision d'autres clients éventuels.

Un barbu, qui sortait illico de la mosquée après la dernière prière, fronça les sourcils dés le début du discours, il est passé d'autres temps où le nombre de rides au front lui aurait été "conjugué" en autant d'années de prison. Il ne pipa mot mais son inadhésion était visible de prés. Un bouquiniste du coin, qui ne cessait de traire la vache laitière à son niveau, se pencha encore plus, lorsque le monarque se mit à parler des élections transparentes. Il avait déjà eu maille à partir avec la justice, mais il ne se repentait pas. Le même intérêt fut montré par un commerçant qui occupe aussi un poste respectable localement .Il avait l'habitude de gagner à tous les coups, lors des élections depuis qu'il était sorti de la 9 ème et pour lui la politique c'est donner de l'argent pour en gagner, un commerce comme un autre. Et voilà que Sidna, (pensa-t-il), annonçait sans crier gare des élections propres, mais qu'allait-il devenir, lui qui avait bâti tous ses espoirs sur cette périodes électorale pour laquelle il avait tant sacrifié en dirhams sonnants et trébuchants ? Comme il n'avait pas bien compris il voulut demander au quinqua de lui montrer son carnet pour y déchiffrer quelques mots, mais celui-ci le rabroua d'un geste, et continua à consigner quasiment tout le discours sur son calepin."Il n'avait qu'à aller à l'école pensa le quinqua, pendant que moi je me levais avec le coq lui il continuait à sommeiller chaudement, et comme si cela ne suffisait pas, voilà qu'il était élu pour son fric, et maintenant ça veut que je lui expliquasse " et il continua à écrire.


Un jeune enseignant qui était venu là pour prendre son café s'est laissé prendre dans cette ambiance. Tout le monde se taisait, le poids du moment pesait sur les cœurs et l'on sentait la tension à fleur de peau réveillée par les milliers d'images que renvoyaient les satellites .Lui n'a jamais cru à l'exception marocaine, il se dit qu'il était vrai que les moyens ne seront pas identiques mais que la situation était devenue aussi intolérable que dans tous ces pays limitrophes. Il avait milité pour deux années dans un syndicat ayant pignon sur rue, mais il dut se retirer après qu'il eut constaté comment les "militants" commerçaient avec les cartes d'adhésion et leurs principes avec la même désinvolture et jura depuis de ne jamais croire aucun politicien . Il écouta plus attentivement quand le roi en arriva à parler de l'institution du premier ministre et pensa aux autres monarchies voisines, et se mit à rêver du jour où il verrait son cher pays avec de vraies institutions responsables."Ce sera l'Eden, se dit-il, puis il se ravisa en pensant à toutes ses vraies démocraties qui n'ont plus rien à envier au tiers-monde et ravala sa langue .


Quelques minutes plus tard le discours prit fin .Personne ne voulait ni ne pouvait faire de commentaire .N'est-il pas stipulé quelque part que le discours royal est incommentable ? Ce fut quand-même le cafetier qui brisa le tabou en premier :"Icchh,j'avais cru qu'il allait annoncer la suppression de tous les impôts pour que j'achète on sac de farine à moins cher demain matin !" L'ambulant au salamou 3alaykoum en salve de grosse Bertha, le réitéra, exprès pour enfoncer le clou dans les cœurs de tous ceux qui le détestaient et pour cause .Comme personne ne lui répondit il ajouta : " de toute façons il faut dire que le Maroc donne encore des occases de s'enrichir,faut seulement savoir s'y faire "

"Kabbaha lahou wassa3yak éclata le frère, tu n'as pas honte de faire l'éloge de la corruption et de la concussion. C'est bien toi que désigne le très haut par le verset faisant allusion à ceux qui œuvrent à vulgariser la débauche sur terre, tu seras maudit !" cria –t-il en se levant .Il tira quelques dirhams de la poche de son séroual, les déposa sur la table qui servait de minuscule comptoir et s'en alla en vociférant quelques damnations occultes dans sa barbe .Le quinqua avait rempoché son calepin et s'apprêtait à partir.  Les commentaires battaient leur plein ,le jeune intello se demanda comment allait-on encore attendre jusqu'en Juin pour voir les premiers prémisses du changement ,pourquoi ne pas commencer tout de suite par un licenciement du premier ministre qui n'a réussi qu'à se mettre sur le dos plus d'ennemis ,sur le dos ,à moins que cela ne soit justement l'objectif de la nomination de ce vieux cheval de la politique sur le retour à un poste aussi sensible ,si ce n'était pas un élagage des plumes d'un parti qui se gonfle comme un crapaud-buffle pour se donner de l'allure . L'élu local n'avait pas attendu la fin du discours pour s'éclipser ,dés qu'il avait entendu l'annonce d'élections différentes des précédentes ,il se faufila entre les chaises ,quasiment inaperçu ,sauf par le cafetier auquel il fit un geste de l'index en le roulant en avant pour signifier qu'il paierait la prochaine fois . Il avait tant hâte de disparaître, on ne savait jamais, avec tous ses nervis qui voient la liberté partout, depuis peu, il avait peur que quelque illuminé ne décide de couper un morceau de son omoplate à lui pour se dédommager de son chômage et de sa famine chronique. Il faut dire que les voleurs ne seront jamais tranquilles nulle part !Un" 3acha lmalik !" fusa du coin où se tenait le MKDM ,l'oreille du système .Il avait un don mnémonique indépassables ,comme tous ses collègues d'ailleurs ,il avait tout enregistré mentalement jusqu'à la taille du pied du frère barbu qu'il prit soin à protéger des autres pieds ,après qu'il eut remarqué que ledit frérot avait marché sur une poignée de farine qui avait échappé au cafetier par inadvertance . Seul le quinqua avait remarqué la combine et ne manqua pas de la consigner sur son vieux calepin .

En ces temps mémorables de l'enfance ,nous passions le plus clair de notre temps à l'école ,comme le voulait cette société qui voulait que nous apprenions à lire et à écrire dans des langues qui nous étaient toutes étrangères .j'étais surpris à chaque fois de constater que la langue que me parlait ma mère à la maison n'avait rien à voir avec cette langue dans laquelle on voulait que je lise et écrive .C'était le début d'un dédoublement schizophrénique qui n'allait faire que s'accentuer avec l'ajout à chaque fois d'une autre langue .Aghroum de ma mère n'avait rien à voir avec "khoubzoun" qu'on m'inculquait en classe ,avant que ne vienne s'y ajouter encore ce"pain"qu'on m'obliga à assimiler à partir de la troisième année primaire avec les "joli Mina et joli Miki,joli Miro" de la langue française ,je constatai avec étonnement que Mina dont on me parlait et dont je trouvais la photo de belle blonde sur mon livre de lecture de CE1,n'avait rien à voir avec Mina la fille des voisins avec son teint basané et ses cheveux crépus et mal peignés et je me demandais souvent si ces gens dont on avait les photos dans le livre habitaient bien sur la même planète que nous ou bien si c'étaient des extra-terrestres ,des Anunakis de la planète Nibiru vivant dans une autre planète du système solaire ou dans une autre galaxie à des années lumière de la nôtre.je remarquai aussi que même les animaux du manuel n'avaient de commun avec les nôtres que le nom;c'est ainsi que Miro du livre était propre avec ses poils bien soignés comme peignés quotidiennement et ne ressemblait en rien à Ouiza avec qui nous avions l'habitude de jouer ,qui avait la robe toujours salie par la suie et la cendre du "fernatchi" du bain maure où elle avait l'habitude de passer la nuit pour se tenir au chaud par les glaciales nuit des hivers rudes de Ghriss .Cependant je finis bien par m'accoutumer à ces contradictions flagrantes ,car personne à l'époque ne pouvait me donner des réponses qui puissen satisfaire ma curiosité d'enfant .Je faisais donc confiance à mes parents qui me disaient qu'aller à l'école était pour mon bien et que c'était pour préparer mon avenir .Néanmoins mes camarades et moi n'attendions que le moment de sortir de la salle de classe pour nous retrouver dehors .Nous nous précipitions chacun dans sa maison où nous jetion bas ces petits cartables jaunes qui ne contenaient en tout qu'une ardoise ,en vraie ardoisine ,ceinte  solidement d'un cadre en bois merveilleusemnt poli et tracée de très jolies lignes rouges qui nous aidaient beaucoup pour aligner les premiers mots que nos chers maîtres s'ingéniaient à nous faire apprendre .Après avoir mangé un morceau de pain tartiné de beurre naturel ou pasé à l'huile d'olive ,selon la saison ,voire même plongé directement dans la marmite familiale quand il n'y avait rien de tout cela ,nous nous précipitions dehors et allions rejoindre le lieu de ralliement à savoir les champs derrière le bain le jour ou la nuit sous un lampadaire assis sur le ciment qui bordait la rivière .
Déjà à cette époque j'avais beaucoup plus de prédilection pour la langue française dont les mots et leurs sonorités magiques ,malgré leur étrangeté, exerçaient sur moi une fascination indescriptible qui ne s'est jamais affaiblie depuis .J'adorais beaucoup ces mots d'un autre monde ,qui me permettaient de rêver et qui s'écrivaient étrangement de gauche à droite ,surtout que les instituteurs de français avaient cette délicatesse de nous apprivoiser plus tendrement que ceux de l'arabe qui nous frappaient sur la pointe des doigts ,la paume bien fermée ,à chaque fois que nous n'apprenions pas ces étranges règles de grammaire arabe que je n'ai jamais réussi à apprendre jusqu'à nos jours ,et qui m'ont laissé bien longtemps dans l'incapacité de distiguer le sujet du verbe et de l'adjectif arabes,même si j'apprenais tout cela par coeur pour éviter les coups et l'oubliai instantanèment dés la semaine suivante pour libérer ma mémoire qui devait servir à d'autres apprentissages .Malgré tout cela j'avais encore quelque privilège de ne jamais rester longtemps dans la même école puisque le ravail de mon père qui était chauffeur au tribunal l'avait contraint à changer souvent de lieu de travail .C'est ainsi qu'après avoir vécu à Assoul ,un village perdu dans le versant Est de l'Atlas où j'ai débuté ma vie scolaire et où j'ai passé mes deux années de primaire ,nous fûmes mutés à Goulmima où jai étudié le CE2,avant d'être transplantés encore une fois à Marrakech où j'ai passé ma quatrième année de scolarité (CM1),puis retour à Goulmima pour le CM2 que j'ai dû redoubler ,sans doute dérangé par tant de changement ,qui malgré le dépaysement avait érodé ma capacité d'adaptation .

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